À toi qui te demandes bien comment tes skis sont faits, voici quelques explications élémentaires qui viennent compléter une série sur le matériel de ski alpin, inaugurée par ce précédent billet. Attention, deux petites mises en garde. D'abord, il y a beaucoup de choses à dire sur le ski, ce billet traitera donc uniquement de la géométrie des skis (la prochaine fois, on parlera architecture interne). Ensuite, sois indulgent et compréhensif, cher lecteur, et souviens-toi que cet extrait de mon mémoire date de 2007. Comme je n'étais alors pas voyante (et je ne le suis toujours pas), il n'y sera fait aucune mention du rocker et d'autres récentes innovations-technologiques-de-pointe-qui-ont-révolutionné-l'art-de-skier.

Déjà paru :
Historique

Comme on le devine aisément, le ski est l’élément de base de l’équipement du skieur. Une fois fixé à ses pieds, il est capable de glisser et de déraper de différentes manières. S’il est posé à plat sur la neige, il glisse dans le sens de la pente ; s’il est incliné sur son arête inférieure, il creuse une sorte de rail qui le guide vers l’avant. Pour répondre de façon optimale aux sollicitations de l’utilisateur, il doit posséder certaines qualités à la fois géométriques et structurelles.

 

1.      Les caractéristiques géométriques

 


Mesures d’un ski[1]

 

1.1  La longueur

 

La plus évidente des caractéristiques extérieures d’un ski est sa longueur. D’une part, elle permet de définir la surface du ski, facteur de vitesse. D’autre part, il ne doit pas être trop court pour garantir une stabilité avant-arrière suffisante. Les données archéologiques dont on dispose montrent que les premiers skis étaient très longs, mesurant parfois plus de 3 mètres ; il semble même qu’une paire pouvait être faite de deux planches de longueurs différentes. Les skis Télémark conçus par Sondre Norheim à la fin du XIXe siècle mesuraient 2,50 mètres, ce qui les rendait un peu plus maniables pour effectuer des virages, puis ils se sont encore raccourcis. Jusqu’à il y a une dizaine d’année, les skis de slalom géant pouvaient dépasser les 210 centimètres et les skis de piste « grand public », 200 centimètres. Puis les skis paraboliques ont fait leur apparition : plus courts, donc plus faciles d’utilisation, ils n’en sont pas moins rapides que leurs prédécesseurs. En effet, leur surface reste semblable car ils ont gagné en largeur ce qu’ils ont perdu en longueur. Aujourd’hui, les skis de descente dépassent rarement 190 centimètres. Trois paramètres permettent de sélectionner un ski de taille adaptée : l’usage qui en sera fait, le poids du skieur et son niveau de pratique. Les skis longs ont une plus grande surface de portance sur la neige, ils sont donc appréciés par les skieurs privilégiant la vitesse ou le ski en poudreuse. Ils sont aussi adaptés au slalom géant qui demande une bonne stabilité lors de la conduite de grandes courbes. En revanche, les skis de freestyle sont plus courts et donc plus légers, pour réduire l’inertie qui gênerait l’exécution de figures acrobatiques. Par ailleurs, un débutant choisira plus volontiers un ski de 10 à 15 centimètres inférieur à sa taille, plus facile à manier, alors qu’un bon skieur optera pour un ski jusqu’à 10 centimètres plus grand que lui. Le poids a aussi une influence : une personne légère, une femme en particulier, se fatiguera vite avec un ski trop long. Pour répondre à la variété de la demande, les fabricants s’efforcent de proposer chaque modèle en plusieurs longueurs.

 

1.2 Le patin

 

Alors que la spatule et le talon sont les extrémités larges du ski, le patin est la partie la plus étroite, sur laquelle sont montées les fixations. Il est situé légèrement en arrière par rapport au milieu du ski. La largeur au patin permet de définir la largeur générale du ski et donc l’usage auquel il est destiné. En effet, plus un ski est conçu pour une pratique hors-piste, plus grande est la surface de portance nécessaire, afin de ne pas s’enfoncer dans la poudreuse. Les skis de piste ont une largeur en patin proche de 70 millimètres, alors que cette mesure dépasse les 100 millimètres dans la catégorie freeride fat, prévue pour une utilisation presque exclusivement en dehors des pistes damées.


1.3  La spatule

 

Depuis toujours, la pointe avant du ski est relevée de quelques centimètres, à l’origine grâce à une opération de chauffage puis par des procédés plus complexes. La spatule ainsi formée permet au ski de glisser en surface sur neige profonde et de ne pas s’accrocher aux irrégularités du terrain. La base de la spatule étant également le point le plus large de l’avant du ski, elle joue un rôle déterminant dans le déclenchement du virage. Leur forme connaît quelques variantes. Ainsi, elles sont moins effilées et plus basses sur les skis paraboliques ; elles sont très larges sur les skis de freeride pour bien déjauger, c’est-à-dire permettre au ski de « flotter » sur la poudreuse plutôt que de s’y enfoncer. Certains skis de course sont équipés de spatules asymétriques, dont les pointes, tournées vers l’intérieur, agissent comme des guides pour favoriser le passage du ski du bon côté du piquet. Par ailleurs, les spatules sont parfois renforcées par un embout en plastique ou par des rivets pour résister aux nombreux chocs qu’elles subissent en raison de leur situation, comparable à celle de l’étrave d’un navire.

 

1.4 Le talon

 

Le talon, extrémité opposée à la spatule, est le point le plus large à l’arrière du ski. Généralement, il n’est pas aussi courbe et pointu que la spatule : il est juste légèrement arrondi et relevé de moins d’un centimètre, là encore pour faciliter le virage. Cependant, un talon qui n’est pas assez présent compromet la stabilité du ski et le rend plus difficile à maîtriser. Les amateurs de freestyle exigent du talon d’autres qualités. Lorsqu’ils exécutent des sauts ou d’autres figures acrobatiques, ils peuvent être amenés à skier ou à atterrir en arrière (en switch). De ce fait, le talon est renforcé pour résister aux chocs et équipé d’une spatule arrière relevée d’environ 5 centimètres : on parle de ski bispatulé ou twin-tip.

 

1.5 Les lignes de cotes et le rayon de courbe

 

On doit également à Sondre Norheim l’idée de donner au ski une forme en « taille de guêpe ». Les lignes de cotes d’un ski correspondent à sa largeur mesurée en trois points : spatule, patin et talon. Les mesures sont toujours indiquées dans le même ordre et en millimètres, à la différence de la longueur, exprimée en centimètres. A partir des lignes de cotes, on peut calculer le rayon de courbe du ski grâce à l’équation suivante[2] :

Rayon = (L - E)²/(20*(S + T – 2P))

où L = longueur du ski (cm), E = longueur des extrémités du ski au-delà des points les plus larges (cm), S = largeur de la spatule (mm), T = largeur du talon (mm), P = largeur du patin (mm). On obtient, en mètres, le rayon du cercle que tracerait un ski qui virerait à plat en suivant la courbe initiée par sa carre. En réalité, une telle situation est impossible, puisque, par définition, un ski à plat sur la neige ne se tient pas sur sa carre. Ce rayon, dit statique, est donc une mesure théorique. Le rayon de courbe réel sera différent à cause de la flexion induite par le skieur pour conduire le virage. Cependant, ce calcul est utile pour prévoir le comportement d’un ski et son affectation. Les skis paraboliques, dont les lignes de cotes sont plus creusées que celles des anciens skis droits, ont un rayon de courbe plus court. Dans la pratique, cela signifie que le skieur déclenchera le virage avec une facilité accrue. Cette accessibilité a largement contribué au succès des skis paraboliques, qualifiés de « ludiques » dès leur apparition sur le marché ; on a même parlé de « conduite assistée » ! En effet, lorsque le ski est mis sur la carre sans aucune contrainte, la surface de contact avec le sol est limitée. Mais le poids du skieur exerçant une pression sur le ski perpendiculairement au plan de la semelle, celui-ci va se courber et toute la carre sera en contact avec la neige. C'est cette courbure qui permet au ski de tourner sans déraper, jusqu’à être à nouveau plaqué sur la neige ou incliné sur la carre opposée pour déclencher un virage en sens inverse. Contrairement au virage dérapé, le virage coupé préserve donc une parfaite maîtrise des skis tout en limitant la perte de vitesse. En moyenne, les rayons les plus courts (environ 12 mètres) sont destinés au slalom, les rayons intermédiaires sont présents chez la majorité des skis destinés au grand public alors que les plus longs (21 mètres minimum selon le règlement de la Fédération Internationale de Ski) sont réservés au slalom géant.

 

1.6  La cambrure

 

À la fin du XIXe siècle, Sondre Norheim avait déjà donné à ses skis une certaine cambrure, contrastant avec les skis plats utilisés jusqu’alors. Le défaut des skis primitifs étaient leur tendance à s’affaisser en leur centre sous le poids de l’utilisateur, qui s’enfonçait alors sensiblement dans la neige, freinant sa progression. Un moyen d’y remédier était de concevoir des skis moins flexibles, plus épais mais aussi plus lourds. La solution « moderne » consistant à les cambrer a permis de les rendre plus souples, autorisant un gain en légèreté significatif. Deux skis placés semelle contre semelle sont en contact uniquement au talon et à la base de la spatule. À la hauteur du patin, ils sont séparés par un espace dont la largeur définit la cambrure du ski. Cette courbe est annulée lorsque le skieur est debout sur ses skis : ils sont alors parfaitement plats, et la pression est répartie également sur toute leur longueur. La cambrure est même inversée en virage, quand le ski est incliné sur la carre. En effet, dans cette situation la spatule et le talon reposent naturellement sur la neige. Mais seul le poids du skieur permet de fléchir le ski pour que le patin entre également en contact avec la neige. La force nécessaire pour déformer le ski est proportionnelle à sa rigidité en flexion. L’avantage attendu d’un ski peu flexible est une puissante relance en sortie de virage. Concrètement, cet effet de rebond favorise un passage rapide de carre à carre pour amorcer un nouveau virage. Un ski rigide est également moins confortable, mais il répond mieux aux sollicitations du skieur et adhère bien à la neige, les forces étant transmises efficacement sur toute la longueur du ski. Au contraire, un ski souple se déforme facilement ; il tolère les erreurs de conduite et se déforme pour avaler le relief.


[1] Source : me contacter.

[2] Source : me contacter.