La grande histoire du ski d'été en France : sur la ligne frontière

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La grande histoire du ski d'été en France : sur la ligne frontière

Chapitre IV de notre saga du ski d'été : domaines skiables entre la France et l’Italie
article La saga du ski d'été
ventoux84
Texte :

La frontière franco-italienne a été fixée par le traité franco-sarde du 24 mars 1860, aux termes duquel la Savoie et le comté de Nice ont été cédés à la France. Si l'essentiel de la frontière avec l'Italie, du Dolent dans la vallée de Chamonix au Mont Carpano sur les hauteurs de Menton, est démarquée d'un commun accord avec l'Italie, cette limite reste mouvante. Jérôme Gautheret écrivait dans le Monde en 2020, « qu'entre les deux pays, l’imbroglio à propos du tracé de la frontière sur le "toit de l’Europe" dure depuis plus de cent cinquante ans ». Plusieurs domaines de ski d'été ont, ainsi, joué avec cette délimitation floue des frontières et cette incertitude en très haute altitude.

Courmayeur, ski d'été au cœur des 4000 du Mont-Blanc

A Courmayeur, le ski d'été prend ses quartiers à l'initiative d'Ottone Bron qui organise avec les frères Salluard un premier stage du 14 juin au 6 juillet 1936 en utilisant un téléphérique militaire pour accéder au col du Géant. Le succès est là et il fonde l'école nationale de ski du Colle del Gigante. Malheureusement, sa vie de skieur prend fin brusquement lorsqu'il tombe dans une crevasse de la mer de Glace en juillet 1938. La conquête des cimes, freinée par la seconde guerre mondiale, reprend en 1947 avec la construction du téléphérique du Col du Géant sous l'impulsion de Dino Lora Totino, un ingénieur à l'origine des installations de remontée mécanique les plus audacieuses de l'époque. En 1956, on skie à l’aplomb de l'Aiguille du Midi et sous le grand Flambeau à proximité du refuge-hôtel Torino où un second téléski est installé. La revue Le Ski évoque, d'ailleurs, Courmayeur comme d'une base estivale de ski. C'est la réalisation en 1957 de la télécabine de la Vallée Blanche par ce même Totino qui va lancer officiellement le ski d'été dans le plus vaste domaine glaciaire des Alpes. En 1953, le Dauphiné Libéré anticipait déjà le projet en évoquant du « ski toute l’année à Chamonix ! Longue de 6 kilomètres la future télécabine relira l’aiguille du Midi et le col du Géant et quatre téléskis feront de la vallée Blanche le terrain de ski le plus étendu du monde ». Et oui, car nous sommes en France sur le territoire de la commune de Chamonix Mont-Blanc bien que le domaine du col du Géant sera exploitée et commercialisée principalement depuis le Val d'Aoste.

Le ski d'été prend son véritable essor dans les années 60 sur l'impulsion de Lorenzo Paris. Le journal Sciare évoque en 1968 ce domaine incroyable, « dans l'univers incomparable du Mont-Blanc basé au refuge de Torino, directement accessible par l'imposant téléphérique qui relie Courmayeur à Chamonix, le plus grand massif des Alpes, l'école de ski du Mont Blanc est ouverte en été sous la direction de Lorenzo Paris. Deux remontées mécaniques derrière les Flambeaux et deux sur le Colle del Gigante sont au service des passionnés qui peuvent aussi descendre le long de la Vallée Blanche ». Si le site est grandiose, il n'en est pas moins compliqué à exploiter compte-tenu de l'accès (trois tronçons et 45 minutes de téléphérique depuis l'Italie) et des mouvements glaciaires. Les poteaux des téléskis se tordent sous l'effet cumulé de l'albedo et de la déformation de la glace. Les appareils escamotables sont déplacés pour trouver les meilleurs secteurs. Le ski d'été s'achève définitivement en 1990 pris en étau entre la fonte des glaces,  le droit de l'environnement et des dissensions juridiques concernant la convention d'usage avec la France.

L'échec de Sainte-Foy le Ruitor

Puisque les Italiens utilisaient les glaciers français (glacier du Géant au niveau de la Pointe Helbronner côté Courmayeur, glacier du Sommeiller sur la commune de Bramans en Maurienne), il a sûrement émergé dans l’esprit de certains idéalistes que le versant français pourrait aussi exploiter les glaciers Italiens limitrophes. Pure spéculation mais toujours est-il qu’un projet de station au hameau de la Sassière au-dessus de Sainte-Foy en Tarentaise a germé dans les années 60. Val Ruitor (inscrit dans le « plan neige » de Maurice Michaud, la bible de la bétonisation en montagne) prévoyait la construction de 18 000 lits dans l'un des derniers « gisements » de neige immaculée, d’un péage routier pour amortir les énormes travaux de la route d'accès et l’exploitation du glacier du Ruitor débouchant dans le Val d’Aoste pour du ski d’été. Le livre de Danielle Arnaud « la neige empoisonnée » indique que l’on a même cherché des investisseurs jusqu’au Moyen Orient du côté des princes du pétrole. Personne n’est venu verser son obole et ce magnifique secteur est resté vierge de remontées mécaniques même si la tentation du Ruitor renaitra avec la création de la station de Sainte-Foy-Tarentaise.

Glacier du Sommeiller, histoire d'un homme, histoire d'une vie

Créer un centre de ski d'été sur le glacier de Sommeiller, c'est ce rêve fou que Edoardo Allemand dit "Edo" a concrétisé dans les années 60.

Edoardo Allemand, du rêve à la réalité

Edo a eu plusieurs vies : partisan de la résistance italienne, prisonnier de guerre, déporté en camp de concentration, employé des chemins de fer, gardien de barrage, moniteur de ski ... et créateur d'une station de ski. L'idée de créer de toute pièce un centre de ski a commencé à germer durant les années où Edo était gardien du barrage de Rochemolles, situé en aval du col de Sommeiller près de Bardonnechia, où il est revenu après la guerre. « Mon père montait voir souvent le glacier » nous raconte Fulvio Allemand, son fils. Un événement douloureux va changer la vie d'Edo. En 1958, il décroche le précieux sésame pour exercer le métier-passion de moniteur de ski. Le lendemain, trop content de sa réussite, il monte à la station de Bardonecchia - Jafferau pour fêter son diplôme et sur un saut, se casse la jambe en 18 morceaux. Les longs mois de convalescence vont lui permettre d'imaginer et mûrir son projet. L'idée prend forme grâce à de longues discussions avec son grand ami Piero Bosticco, le directeur de l'école de ski. « Le plus gros problème à résoudre était de créer une route carrossable de Rochemolles au Col du Sommeiller » précise Fulvio. Avant de s'attaquer à la route, il a fallu également convaincre de l'intérêt de la démarche les propriétaires terriens et la mairie de Bramans, côté France, sur laquelle était situé le glacier. Il n'y eut pas de contradicteurs et le 7 mai 1962 après avoir fait l'acquisition d'une pelle mécanique et créé une société anonyme la VA.RO (Valle di Rochemolles), Edo et ses partenaires s'attaquaient à la construction de la route.

Ils ont mis un été et demi pour construire la route. Ils travaillaient d’avril à septembre sans discontinuer. Ils dormaient à côté des engins dans une tente militaire. Au printemps 1963, ils sont arrivés au col du Sommeiller à 3 009 mètres d'altitude pour achever la plus haute route d’Europe.

Fulvio Allemand

Ski au Sommeiller

Les premiers skieurs foulent le glacier de Sommeiller à l'été 1963. Les voitures pouvaient monter au col mais rapidement, Edo va mettre en place un service de bus depuis Bardonnechia pour acheminer ses clients. Les bus de 25 à 32 places étaient réutilisés l'hiver pour organiser le service public de transport de Bardonnechia et amener les touristes aux pieds des pistes. Dès 1963, le refuge "Ambin", une structure en acier préfabriquée, voit également le jour. Le refuge se compose de deux bâtiments : dans le premier, un magasin, des locaux pour le personnel, des toilettes, un restaurant de 80 couverts et un bar, dans le second, 20 chambres pouvant accueillir 50 personnes avant son extension devant le succès du glacier. « Dès l'âge de 15 ans, je travaillais avec mon père. Le midi, on pouvait servir jusqu'à 100 couverts. Nous avions une cave avec plus de 100 vins différents, français, Italien. Du Châteauneuf-du-Pape même ! On travaillait beaucoup et il y avait une bonne fréquentation même si il y avait la concurrence des autres domaines d'été comme le Stelvio, Courmayeur ou Cervinia. Les chambres de notre refuge étaient toutes équipées de l'eau courante ce qui était exceptionnel pour l'époque » se rappelle Fulvio avec enthousiasme.

Quand la route était presque ouverte, mon père montait avant pour préparer les téléskis. Moi, je continuais le déneigement de la route. Quand c’était ouvert, je passait à la gestion du domaine et mon père travaillait au bar-refuge.

Fulvio Allemand

Sommeiller a eu deux à trois téléskis selon les périodes et a compté jusqu'à neuf moniteurs. « Dans les année 60, l’équipe de France venait s’entrainer chez nous car il y avait deux changements de pente, mieux qu'à l'Iseran où il y en avait qu'un » vante Fulvio. Les deux premières remontées étaient parallèles et s'appelaient "i corti". La force motrice était assurée par un moteur diesel. Les poteaux étaient enfoncés dans la glace mais le glacier bougeait constamment et il fallait souvent vérifier l'alignement des câbles.

L'avalanche de 1968

L'hiver, le petit domaine de Sommeiller est à la merci des tempêtes et des avalanches. Durant l'hiver 1968, un petit avion de tourisme survole le secteur et s’aperçoit que le toit du refuge a bougé. Edo devra attendre le printemps pour constater la catastrophe. Une avalanche partie sous le sommet du Rognosa d'Etiache avait détruit sa station. Avec l'aide de toute la communauté Bardonèche, les remontées sont remises en service et le bar reconstruit pour permettre à la saison de redémarrer et de fonctionner à l'été 1969. Néanmoins, le coup est dur et Edo n'a pas les fonds pour reconstruire le refuge-hôtel.

La fin du Sommeiller

Edo avait de grands projets pour "sa station". Après la terrible avalanche de 1968, il rêve de reconstruire son refuge en dur au Pian dei Frati situé cinq kilomètres en aval du col et de relier le lieu-dit au glacier par un télécabine. « Les clients pouvaient dormir plus bas car à 3 000 mètres ce n'est pas facile de dormir les premiers jours. Cela nous aurait permis d'ouvrir en mai, un mois et demi en avance, et d'économiser de l'énergie et de l'argent » évoque Fulvio. Malheureusement, personne ne souhaita investir aux côtés d'Edo, de la région du Piemonte aux hôteliers locaux. « Lorsque je suis parti faire mon service militaire, mon père n'avait plus mon aide pour le déneigement et la gestion. Sans compter sur la désillusion de ne pas avoir concrétisé son projet de Pian dei Frati. C'est ainsi, qu'il se résolu à vendre en 1975 à un industriel Turinois, Agostino Gessarolli, dont le fils était compétiteur à Bardonnechia ». Gessarolli jeta l'éponge au bout de trois ans. L'exploitation se fera de manière aléatoire pendant quelques années. Le journaliste Pier Luigi Griffa regrettait, d'ailleurs, dans le magazine Sci en 1983 que « l'initiative privée n'arrivait pas à maintenir cette structure à un certain niveau d'efficacité, dont le potentiel touristique est énorme ». Finalement, le domaine ferma un an plus tard, en 1984. « En 2001 et 2002, la commune de Bramans a lancé des opérations de nettoyage, et c'est finalement en 2006 que l'ensemble des structures des remontées ont été déposées. Le terrain par endroit remodelé. Tout a été évacué côté Italien » nous livre, en forme d'épitaphe, Patrick Bois, le maire de Bramans.

Gelas, le ski d'été à 40 km de la Méditerranée

Qui peut imaginer qu'il y a eu du ski d'été à 40 kilomètres à vol d'oiseau de la Méditerranée... et pourtant, les pentes du Gelas, sommet frontalier, ont vu pendant quelques années un groupe de jeunes de Cunéo, passionnés de sports d'hiver, pratiquer le ski à la belle saison. Le téléski du Gelas est presque un mystère car il n'a concerné qu'un petit nombre de skieurs liés par la confidentialité de ce lieu. Adriano Gerbotto fait parti de ces éclaireurs et a raconté l'histoire du Gelas à Jacopo Galfrè qui nous a autorisé à traduire son récit : « Personne n'aimait l'idée de conclure la saison de ski au printemps. Nous nous sommes dit alors pourquoi ne pas profiter d'un des plus anciens glaciers des Alpes Maritimes pour continuer à skier même en été ? C'est ainsi qu'à la fin des années 60 un projet a été élaboré et le matériel nécessaire identifié. Nous sommes partis à pied dans la montagne en portant tous les éléments sur notre dos pour construire notre station : des tuyaux, des cordes, des rouleaux, des outils, un moteur de moto pour notre téléski et tout le nécessaire pour plusieurs jours ». Le téléski était situé au Lago della Maura (2 370 mètres), un petit joyau lacustre, plongé dans le silence et l'immobilité, situé sur la commune d'Entracque à une courte distance de la frontière française, autrefois la réserve de chasse du roi. Niché entre la montagne et le lac, le téléski ou plutôt le fil neige n'était accessible qu'en été, de fin juin aux premiers jours de septembre après une longue marche. Adriano Gerbotto, décrit l'installation rudimentaire, « le système aux caractéristiques similaires aux premières remontées mécaniques des années 50 était composé de deux poteaux tubulaires servant aux échafaudages de chantier, soudés et modélisés sur le modèle des poteaux de la société Leitner en usage à l'époque dans les stations de ski. La ligne était soutenue par un seul galet sur chaque branche montante et descendante. Enchâssés dans la glace et la neige chaque automne, il fallait les démonter et les remettre au sol en attendant la saison suivante ». La belle aventure amicale a duré une dizaine d'années jusqu'au constat que le glacier ne permettait plus de poursuivre la pratique.

Tous les épisodes

Poursuivez votre lecture avec les autres articles de notre saga du ski d'été :

Intro : Pour qui sonne le glas(cier) ? : anthologie du ski d'été en France

Chapitre I : l'avènement du ski d’été et premiers domaines sur les hauteurs de Chamonix

Chapitre II : les années 70, la course aux 3000 et aux neiges éternelles, les ski 365 jours par an

Chapitre III : le ski d'été dans la Vallée de l'Oisans : le refuge Adèle Planchard, l'Alpe d'Huez, les 2 Alpes et la Grave

Chapitre IV : sur la ligne frontière, domaines skiables entre la France et l’Italie

Chapitre V : utopies, fugacités et perspectives : Val Thorens et autres lieux singuliers

ventoux84
Texte Maxime Petre
Cette montagne que l'on découvre...Au loin de toutes parts est presque toujours devant nos yeux

2 Commentaires

le roy C'est vraiment super tout ce que tu as pu rassembler sur l'histoire du Sommeiller, merci pour le boulot et le partage !
ventoux84 Merci Nico! J'ai surtout eu de la chance de pouvoir échanger et dialoguer avec Fulvio qui parle un français parfait et m'a partagé l'histoire incroyable de son père.
 

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