Le ski d'été dans la vallée de l'Oisans s'est développé en quatre temps et sur plusieurs décennies. Il y a d’abord les stages d’été du GUC Grenoble Ski au refuge Adèle Planchard à 3300 mètres. L'Alpe d'Huez prend précocement conscience du potentiel du Pic Blanc qui surplombe la station et sera relié par téléphérique en 1963. Aux Deux Alpes, l'énorme masse glaciaire du glacier du Mont-De-Lans promet à la station un avenir radieux au début des années 70. La Grave rejoint dans les années 80 ses voisines iséroises dans la course au ski d'été pour ce qui restera un coup d'épée dans l'eau.
Avant l'exploitation mécanisée des glaciers d’Huez, des Deux Alpes et de la Grave, c'est au pied de la Grande Ruine, à proximité du refuge Adèle Planchard que le ski d'été a débuté en Oisans. Nous sommes en 1953 et la Société des touristes du Dauphiné met son refuge à disposition des skieurs du Grenoble Université Club comme camp de base de mai à novembre. C'est le début des stages estivaux pour la compétition dont George Joubert, entraineur en chef du GUC Grenoble Ski est le précurseur avec des programmes d’entrainement novateurs notamment avec une planification quasiment 12 mois sur 12. La fine fleur de l'équipe de France vient skier à Planchard et le GUC devient d'ailleurs le premier ski club français par le nombre de coureurs classés en séries nationales. Mais aller s'entrainer à 3 169 mètres n'a rien d'une sinécure : 1 500 mètres de d+, sept heures de marche, le matériel à porter, un refuge à mettre en ordre de marche après des mois d'hibernation. Ces stages d'été de Haute Montagne prennent fin en 1963 avec le déménagement sur Huez.
En 1969, Pierre Schnebelen lance un vaste projet de domaine skiable sur le site actuel de Val Thorens, comprenant deux pôles : Val Thorens dans la vallée des Belleville et Val Chavière au sud côté Maurienne située sur la commune de Modane. Entre les deux, une vaste zone glaciaire, placée en plein cœur du Parc de la Vanoise, qui deviendrait la station des glaciers, le plus fabuleux complexe de loisirs été-hiver : six glaciers, 365 jours de ski par an de 2200 à 3650 mètres, plus de 150 remontées mécaniques dont 35 fonctionnent 12 mois par an, un skirail - nom pompeux pour qualifier un funiculaire - d'un débit de 7 200 personnes à l'heure pour relier à la vitesse prodigieuse de 10 mètres par seconde le centre de la station au glacier de Thorens, un golf, un aéroport, 10 piscines, deux patinoires, un centre commercial de 75 boutiques, un parking souterrain de 2 000 places, des boîtes de nuit, 35 000 lits prévus... « Les deux stations de Val-Thorens-Val-Chavière constitueront un ensemble comparable à celui de Cervinia-Zermatt » ajoute Schnebelen. S'en suivent des années de conflit pour ce qui restera l'affaire de la Vanoise, l'opposition frontale de deux approches de la montagne. Finalement, la décision est tranchée en 1971 de ne pas amputer le parc mais d'autoriser toutefois l'utilisation modérée du glacier de Chavière pour du ski d'été. Deux téléskis sont réalisés en 1974 mais cessent de fonctionner en 1987 suite au recul important du glacier. En 1989, alors qu’il est temps de renouveler ces équipements, un vaste projet d’aménagement du glacier de Chavière est relancé. Nouvel affrontement entre protecteurs de la nature et aménageurs. Patrick Gabarrou, pour les antis, et Marielle Goitschel, pour Val Thorens, se retrouvent à débattre à 3 000 mètres d'altitude d'un projet finalement clos par le ministre de l'environnement.
Val Thorens, c'est aussi du ski d'été sur le glacier de Péclet à partir de juin 1973, un glacier qui semblait pourtant moribond sur des photographies prises en 1939. Un accès plus commode que pour Chavière où il fallait emprunter deux tronçons de télésiège pour rallier le glacier, une dénivellation de 500 mètres, deux pistes noires, deux rouges avec des pentes bien engagées à la différence de la plupart des autres domaines skiables exploités en été. À l'été 2019, un pan entier de l'histoire de Val Thorens se tourne avec le démontage du télésiège du Glacier, dernier vestige et témoin d'une époque désormais révolue, celle du ski d'été sur le glacier de Péclet qui avait définitivement cessé en 2001.
C'est aussi la période où le Grenoble Université Club, célèbre club omnisports de la cuvette dont Jean Vuarnet est l'un des athlètes phares, déménage ses stages d'été du refuge Adèle Planchard au glacier de Sarenne.
À l’arrivée à la gare supérieure du téléphérique du Pic Blanc, la répartition des provisions dans et sur les sacs à dos avant de descendre à ski jusqu’au chalet du GUC. Le départ matinal pour profiter d’une bonne neige. L’initiation à l’usage du fil neige.
En 1969, l'Alpe d'Huez inaugure son télésiège du glacier avec l'objectif de populariser le ski d'été sur un glacier « sans crevasse ». Le Dauphiné Libéré détaille encore : « si la pratique du ski de glacier était jusqu'alors réservée à l'élite des skieurs et souvent des skieurs de compétition avec l'aménagement du glacier de Sarenne, cette discipline sportive est désormais offerte à tous ». La presse locale n'hésite pas à désigner l'Alpe d'Huez comme la Mecque du ski d'été. La transition entre l'insouciance climatique et la réalité du pergélisol se fera au début des années 90. Si en 1984, l'installation du téléski du refuge permet de tripler le domaine skiable d'été de la station dauphinoise, six ans plus tard c'est la désillusion avec l'impossibilité d'ouvrir le glacier. Ce dernier perd tellement de volume que l'on démonte un à un les téléskis entre 1988 et 1993. Jadis orgueil, le ski d'été s'achève en catimini même si en 2004 le maire de l'époque s'imagine redynamiser le ski d’altitude de la Toussaint et garantir un ski d’été de qualité avec l'installation de deux télésièges. Édile de mauvais augure...
Poursuivez votre lecture avec les 3 autres articles de notre saga du ski d'été
Chapitre I : Ski d'été en France, années 50, la genèse
Chapitre II : les Années 70, la course aux 3000 et aux neiges éternelles avec Val d'Isère, Tignes, les Grands Montets et la Plagne.
Chapitre IV : Utopies et perspectives : Val Prarion, Val Chavière, Val Thorens et autres mystères...
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Intro : Pour qui sonne le glas(cier) ? : anthologie du ski d'été en France
Chapitre I : l'avènement du ski d’été et premiers domaines sur les hauteurs de Chamonix
Chapitre II : les années 70, la course aux 3000 et aux neiges éternelles, les ski 365 jours par an
Chapitre III : le ski d'été dans la Vallée de l'Oisans : le refuge Adèle Planchard, l'Alpe d'Huez, les 2 Alpes et la Grave
Chapitre IV : sur la ligne frontière, domaines skiables entre la France et l’Italie
Chapitre V : utopies, fugacités et perspectives : Val Thorens et autres lieux singuliers
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