par Antoine Descendres du Comité Décroissance des AmiEs de la Terre de Québec
Nous en sommes tous conscients malgré nous : la ville de Vancouver est l’hôte des jeux olympiques (JO) d’hiver. Les médias de masse, dont les coffres sont renfloués par ces festivités, nous replongent déjà dans le marketing évènementiel et dans la
publicité olympique alors que nous venons à peine de sortir des scandales associés à Pékin 2008. Cette fois-ci, nous dit-on (encore !), les jeux seront plus verts que jamais et leur tenue se fera dans le respect de tous et de toutes. Pas nécessaire de chercher longtemps pour se rendre compte qu’il n’en est rien.
L’élargissement de la route menant de Vancouver à Whistler et la destruction
concomitante d’Eagleridge, un espace sauvage abritant nombre d’espèces menacées, est sûrement une des conséquences les plus médiatisées des jeux de Vancouver. Les coupes, qui ont été effectuées sur 12 hectares, ont touché environ 4800 arbres.
Plusieurs centaines de ces arbres faisaient parti de l’une des dernières forêts (âgée de 500 ans) d’arbousier de l’île.
Mais Eagleridge n’est qu’un exemple de la destruction environnementale associée à ce projet Olympique. Ces jeux signifient en fait la coupe de plus de 100 000 arbres, la créations de plusieurs hectares de stationnement, le dynamitage et l’asphaltage de milieux naturels sauvages, le remplissage de milieux humides, l’excavation de fonds,aquatiques, la construction d’une incroyable quantité de pavillons et d’hôtels, d’un village olympique de 7 hectares, de ponts, de routes, de viaducs, d’une ligne de train reliant l’aéroport au centre-ville, de systèmes d’aqueduc, d’installations
sportives à vocations toutes plus éphémères les unes que les autres, etc. En incluant la pollution liée au transport aérien et aux activités durant les 27 jours de célébration, la somme des émissions de CO2 associées aux JO de Vancouver est évaluée à 3,7 millions de tonnes. Comparativement, en 2003, 77 des 191 pays de la planète émettaient annuellement moins de CO2.
La résistance autochtone.
La destruction des milieux naturels du Canada n’est évidemment pas nouvelle mais historiquement, en Colombie-Britannique, l’expansionnisme occidental a rencontré une résistance autochtone particulièrement vigoureuse qui leur a permis de demeurer les
propriétaires (selon la législation) de la quasi-totalité du territoire provincial. Aujourd’hui, même si une grande partie des autochtones ont abdiqué leurs droits devant le rouleau compresseur occidental, différents groupes autochtones continuent de se battre afin de bloquer l’expansion, le développement ou l’ouverture de différents centres de ski répartis sur plus d’une douzaine de montagnes. Car en plus d’être assiégées par toute une série de nouveaux produits chimiques visant à augmenter la production de neige artificielle, les montagnes de Colombie-Britannique, au cœur des territoires et des cultures autochtones, sont prises d’assaut par les promoteurs qui, avec l’aval d’un gouvernement provincial avide de développement, vise à multiplier les pistes, les remontées mécaniques, les
hôtels & condos (routes, aqueducs, électricité, stationnements, etc), les terrains de golf, les forfait d’ « héli-skiing » ou de « snowmobil-skiing », etc. Les terres autochtones (considérées par le gouvernement comme des « terres de la couronne »
sur lesquelles sont menés ces projets de développement, sont généralement vendues à rabais ou cédées par le provincial au privé. Les jeux olympiques constituent en fait la justification qui a permis au gouvernement Campbell de mettre en place une série de réformes qui ont favorisé et accéléré l’acceptation et la réalisation d’une multitude de ces projets de développement.
Un cadeau pour le privé.
La facture de plusieurs des projets olympiques risque d’être refilée aux
contribuables de la Colombie- Britannique et du reste du Canada. Le village olympique par exemple devait initialement être un projet rentabilisé par le privé.
Finalement, il coûtera près d’un milliard de dollars aux contribuables. Lorsque l’on regarde les JO précédents, on se rend compte que le plus aberrant, est que malgré tout cela et malgré les engagements initiaux à ne pas le faire, une grande
partie des infrastructures seront fort probablement vendues à rabais au secteur privé lorsque les jeux seront terminés. Ainsi, on privatise les profits et on socialise les pertes…comme d’habitude. Selon les plus récentes estimations, les jeux
pourraient coûter jusqu’à 6 milliards. Certains des projets justifiés par les JO font cependant parti d’une stratégie plus large d’expansion du tourisme et du commerce international. L’expansion des infrastructures routières, ferroviaires et portuaires par exemple permettra de faire croître les activités minières, pétrolières et gazières de la région.
La crise du logement amplifiée et les « indésirables » criminalisés
Pour pouvoir avoir les jeux, Vancouver devait construire 4000 chambres (l’équivalent de 11 hôtels Delta ) puisque les 22 000 chambres préexistantes n’auraient pas suffit à loger tous les athlètes, commanditaires, administrateurs, officiels, arbitres et chauffeurs qu’apportent les JO. Cela a entraîné l’embourgeoisement de quartiers entiers, le déplacement des gens à faibles revenus et la fermeture de plusieurs commerces de proximité. Comme la location des chambres d’hôtel pour la période des jeux est devenue plus coûteuses que la location des appartements, les touristes se sont attaqués au secteur locatif, dans une ville où la crise du logement faisait
déjà rage depuis plusieurs années. Les baux excluant le mois de février se sont multipliés et la spéculation immobilière a fait des siennes. Tout cela a eu pour conséquence de mettre à la rue des centaines de résidents. Ainsi la Pivot Legal Society a établi que la population itinérante dans le cœur du centre ville avait augmenté de 373% entre 2002 et 2008.
Devant cette situation, les législateurs ont décidé de prendre les grands moyens et ont adopté, à partir de 2004, plusieurs règlements visant à …se débarrasser des sans-abris. Évidemment, malgré la criminalisation croissante des comportements “décadents” au centre-ville, l’itinérance n’a pas diminué. Comble de l’idiotie, un règlement passé en 2009 permet maintenant aux policiers d’amener de force les sans abris dans des centres d’hébergement spéciaux situés loin du centre-ville.
En plus de frôler le fascisme, cette mesure amène d’importants problèmes en
réduisant considérablement chez les itinérants l’accessibilité à des services généralement offerts qu’au centre-ville (soupes populaires, services médicaux, etc.). Ironiquement, la ville de Vancouver avait prévu, dans le cadre de sa mise en candidature, transformer 250 unités du village olympique en logements sociaux. De façon tout à fait prévisible, elle a sabré dans le projet
après sa victoire. Aux dernières nouvelles, la ville ne pouvait plus s’engager à ce que ces logements sociaux - s’il y en avait encore- soient destinés aux pauvres!?!
Les oppositions Mais il n’y a pas que les sans abris qui sont criminalisés depuis l’arrivée des JO à Vancouver. Toute opposition, même pacifique, peut maintenant être réprimée.
Effectivement, le 23 juillet 2009, la ville a passé une résolution interdisant les enseignes, le bruit, les nuisances, les mégaphones et les affiches qui interfèrent avec « le succès des jeux » ou la « jouissance du divertissement sur la propriété de
la ville ». Chaque offense peut se mériter une amende de 2000$ minimum.
Parallèlement, la sécurité entourant les jeux est hallucinante : 4000 soldats et 16500 policiers seront déployés alors que des caméras surveillent déjà chaque recoin de la ville. Le budget pour la sécurité a d’ailleurs été multiplié par cinq et
approche maintenant le milliard de dollars.
Mais toute cette sécurité n’est pas innocente : hormis toutes les injustices locales et les aberrations associées à la préparation des JO à Vancouver, nombreuses sont les raisons de protester pendant ces jeux. Avec l’actualité, on peut immédiatement
penser à l’occupation par le Canada de l’Afghanistan ou aux positions du gouvernement Harper par rapport à des enjeux internationaux tels que le réchauffement climatique ou la Déclaration des droits des peuples autochtones.
Alors que Vancouver sera le centre d’attention de millions de citoyenNEs, les JO pourraient aussi être l’occasion de faire une plus profonde remise en question des valeurs qui animent le sport moderne, véritable miroir de nos sociétés occidentales! Car ces festivités, que l’on dit rassembleuses, sont celles de l’élitisme, de la compétition à outrance, de la réussite à tout prix, de l’égocentrisme et du nationalisme débridé. Les idoles sportives, que l’on présente comme modèles à nos enfants, pour mieux justifier l’existence du sport professionnel, sont dopées et surmenées. L’appât du gain est une motivation qui prend de plus en plus de place dans certaines disciplines qui parallèlement, favorisent chez le citoyen moyen la
contemplation béate plutôt que la participation active.
L’omniprésence de commanditaires olympiques, tous plus immoraux les uns que les autres, symptomatise la commercialisation de chacune des sphères de nos vies. Alors que les opportunistes du monde entier (politiciens, promoteurs, entrepreneurs, firmes de communication, médias, financiers, multinationales, proxénètes, etc.) se remplissent les poches avec les olympiques et que les médias nous abreuvent d’analyses sportives et d’entrevues toutes plus insignifiantes les unes que les autres, comment peut-on ne pas s’interroger à savoir combien de pistes de bobsleigh devront encore être construites de par le monde avant que nous prenions conscience des véritables besoins de cette planète?
Antoine Descendres
inscrit le 24/02/10
24 messages