Nous sommes le 30 Avril 2025. Une date anodine pour certains, une date symbolique pour d'autres. Sur cette planète il y en a qui fêtent leur demi siècle, d'autres, moins nombreux certes, leur siècle tout court. Ça débouche du champagne, ça souffle des bougies, ça joue au (Jean-Pierre) Molki, bref, ça s'amuse.
En cette veille de 1er Mai, le temps est aussi à se demander que faire de ce jour férié. Férié pour les uns, travaillé pour d'autres. Le concept de fête du travail n'ayant pas forcément la même signification pour le PDG que pour l'ouvrier lambda.
Pour fêter le travail donc, des projets passionnants guettent les plus téméraires : au premier rang, j'ai noté "bosser". Et oui, PDG 1 - Ouvrier 0. Au second rang "ranger les affaires d'hiver au grenier et ressortir les affaires d'été" a la côte. Car oui, il y a bien encore un hiver et un été. Entre les deux, il se passe des trucs : des p'tits mélanges de météo, un métissage de saisons. Et c'est dans ces trucs là que l'activité qui nous amène à cet article trouve son terreau, son essence, sa quintessence. J'adore les mélanges.
Nous sommes donc le 30 Avril, et demain, j'ai fête du travail. La version fériée de l'ouvrier n'est pas hyper répandue chez les helvètes, aussi je considère avoir du bol. Dans mon entourage, c'est plutôt le PDG qui impose sa vision du jeu pour ce first of May. Toutefois, en ce dernier jour d'Avril, j'ai bel et bien les yeux derrière un écran au service du grand tout. Il est 13h54, le troisième café trouve son chemin sans sourciller, et mes doigts sur la souris dansent la joyeuse chorégraphie des copy/paste sur ce tableur qui peuple tant de quotidiens.
A la faveur d'un check météo revigorant, j'écris donc ce long message hautement poétique au copain qui va bien: "véloski demain?"
La réponse ne se fait pas attendre : "passe me prendre à 4h30". Le bougre, il a aussi checké la météo.
Il est 3h32 lorsque j'ouvre les yeux, 13 minutes avant le réveil. Porte bonheur. Petite dédicace à celles et ceux qui passent de magnifiques nuits avant des projets montagneux.
Comme tout le monde au mois de Mai, la première chose à laquelle je pense en me réveillant, c'est de savoir si ça a regelé.
Et oui, la météo prévoit des températures élevées pour ce premier jour du "fais ce qu'il te plaît", à l'instar toutefois du dernier jour du feu "découvre toi pas d'un fil". J'avais donc confié tous mes espoirs à la faveur d'une nuit claire, la seule véritable de la semaine. Une chance qu'elle tombe un 1er Mai...
Je me jette donc sur cet outil que le grand tout a su déployer dans toutes les mains. L'appli White risk figure en bonne place sur l'écran de mon smartphone. Lorsque je regarde les données en temps réel de la station de mesure, je pense être mal réveillé : il fait 8,1°c à 2017m... et il est 3h33.
A la faveur de connaissances scientifiques hautement développées, j'arrive relativement rapidement à cette conclusion : ça aura pas regelé. C'est donc en pyjama avant même d'avoir mis pied à terre que l'analyse s'impose : d'un point de vue purement ski, cette journée sera loose ascendant fiasco.
Je me lève donc en enfilant mes lunettes "prisme plaisir d'être en montagne" et c'est heureux comme un poux que je charge cafetière, vélo et ski dans la bétaillère.
Il est 4h32, la lumière de la frontale de Félix éclaire la rue lorsque nous chargeons ses affaires. Une dernière question belge me traverse l'esprit:
Il fait nuit lorsque nous sortons les chevaux. Je ne sais pas trop si ça se pratique d'ailleurs "l'équitaski". Si j'avais un vrai cheval, si je savais faire du cheval, je pense que j'essaierai. Monter au pas en chapeau de paille et en chiquant du tabac isotonique : ça a de l'allure. Descendre au galop en hurlant des yiiiihaaaa et en tirant des coups de winchester n'importe où n'importe comment, c'est trop tentant. Ça donne envie. Il faut que j'me trouve une winchester. Ça a l'air génial l'équitaski.
Mais bon, retour à la réalité. Pas de carabine mais des bâtons d'Alain, pas de canasson mais un vélo tout con, alors pour ce coup-ci encore, c'est véloski .
Il est donc environ 5h41 et nous préparons le matériel au doux bruit du réchaud qui permet à la cafetière italienne de glouglouter de bon matin. Il est tôt, il fait nuit, mais déjà au fond de la vallée les premières lueurs apparaissent. C'est magnifique.
Café tranquille, il fait très doux, trop doux, mais qu'importe. On a décidé de prendre notre temps histoire de surtout apprécier ce moment en montagne. L'idée principale est d'aller au sommet du Maïkhorn, encore lui. Pas coopératif dans la version une, j'émets tout de suite une immense réserve sur la pertinence d'une descente à ski dans ses pentes de 40° en neige mal regelée. Je ne sais pas bien à combien ça gèle 40° d'ailleurs, mais passons.
Nous échangeons sur le sujet et les alternatives... Bon, il se trouve qu'ayant véloskié dans le coin 4 jours plus tôt, j'ai ma p'tite idée. Même si les journées estivales se sont enchaînées, nous avons une vision relativement claire de ce que nous pourrons trouver là haut.
Avant de prendre une décision sur la face du jour, une seule certitude, il faut pédaler jusqu'à la neige.
Le café est avalé, les dernière blagues balancées et c'est parti. En selle.
Grand point commun, et pur hasard, nous avons tous les deux investi dans le même système d'attache des skis sur le vélo. Adieu les morceaux de mousses pour protéger le cadre, au revoir les sangles accrochées plus ou moins à l'arrache. Là, on a du matos de pro. J'avoue qu'à la montée, ça se sent. Les skis sont vraiment stables, aucun balan à l'arrière. La liberté de pédalage est totale. C'est agréable. Subsiste toujours ce problème de la roue avant qui se soulève lorsque la pente est trop raide. Oui, en grands sportifs de gros niveau, nos coups de pédales soulèvent la fourche. Il faut donc toujours appuyer sur l'avant pour coller la roue au sol et s'éviter une perte de contrôle qui verrait la monture plonger aléatoirement côté montagne ou côté ravin... Dans un élan de réalisme Félix suggère de lester le guidon de quelques pierres. Une riche idée que nous laisserons à d'autres le soin de tester.
Nous commençons donc à pédaler sur ces pentes qui m'avaient laissé un si bon souvenirs la dernière fois. Nous ignorons soigneusement le panneau 20% qui est simplement là pour dissuader quiconque de trouver un intérêt à la pratique de la bicyclette dans un milieu si hostile.
Nous montons à petit rythme mais réussissons encore à parler. Après 1 min 34s, la conversation s'estompe curieusement. La respiration se fait profonde et rapide. J'appuie frénétiquement sur la manette du dérailleur arrière pour espérer faire apparaître un pignon haut supplémentaire, mais non. Rien n'y fait. Il faudra trouver son rythme avec ce développement. Si j'avais eu un cheval...
Le chemin est en gravier, mais plutôt compact et sec. Hormis une épingle en boue, tout le reste est bien négociable même sans roue de vtt. Nous enchaînons les virages... et les p'tites pauses; prétextant qu'il faut prendre des photos de ce lever du jour magistral.
Les premiers rayons apparaissent en haut des sommets. Sur le bord du chemin, deux chamois jouent dans l'herbe fraîche. Ils grimpent un poil plus vite que nous. Dans les pierriers plus loin, leurs copines s'activent. Y'a pas à dire, être au petit jour dans cet endroit sauvage est une chance.
Nous sommes pleinement conscient de ce privilège. C'est le premier matin du monde, la nature s'éveille, la vie commence. Tout est possible, tout n'est que beauté. Alors les coups de pédales lorsque la pente se fait plus sérieuse, ça fait transpirer, ça fait mal au dos, mais c'est bonheur.
Je parle à Félix d'une portion de route un brin plus raide qui se profile, il me répond que parfois c'est mieux de ne pas savoir. Il n'a pas tort. Je suis le premier à mettre pied à terre. Je pousse, tiens j'avance presque aussi vite à pieds...
De là, le regard porte vers l'hiver en fixant les versants nord, mais lorsqu'on se penche vers la vallée, c'est déjà l'été. Le printemps en moyenne montagne à ceci de magique : on y trouve la beauté des deux mondes.
Nous laissons donc nos bêtes à roues sur le chemin. Il est l'heure de dépecer le morceau de phoque que nous trimballons, coller tout ça sous les skis et changer de chaussures. Mes winchester d'alain sont prêts. Félix prend pas mal de clichés de ce très bel endroit. C'est un grand replat au dessus de la limite de forêt, à chaque fois que je passe là-bas, je pense à Yakari.
La neige est totalement humide. Pas de miracle. Avec l'altitude qui augmentera, j'imagine déjà une croûte naissante, sans doute plus aidante à la montée qu'à la descente.
Les températures anormalement élevées annoncées pour la journée ne joueront pas en notre faveur, il faudra être raisonnable et vigilant.
Notre choix n'est à ce moment de la journée pas encore totalement acté : le Maïkhorn d'un côté, ou son voisin de l'autre. Il s'agit d'un sommet en Grat, arête dans la langue de Goethe. Pour le pseudo, ce sera Kissgrat. Maïkhorn/Kissgrat? On verra bien.
Nous évoluons d'abord sur la route d'alpage enneigée. Elle est très à l'ombre et n'a donc pas subit une fonte exagérée les jours précédents. La neige y est relativement compacte en surface. Lorsque nous levons la tête vers les faces du jours, elles sont toutes déjà baignées de soleil. Je mets de la crème solaire.
Je ne me sens vraiment pas d'aller traîner sur le dos du Maïkhorn dans ces conditions, le Kissgrat nous offrira une variante de choix beaucoup plus importantes entre des pentes de 35/40 ou des pentes plus douces. Et vue les conditions, je trouve agréable de garder ce choix sous le coude.
Nous arrivons au soleil sur la neige, c'est parti pour la panoplie magique du plein hiver : casquette, T-shirt, lunettes. Il fait soif, je sors la gourde, Félix cherche une des siennes... Bon, ses 2,5L d'eau sont restés sur le vélo.
Nous photographions, il y a pas mal de choix dans les lignes de descente. Ces clichés du bas nous aiderons une fois en haut.
Au loin, j’aperçois un caillou bizarre dans la neige.
Nous avançons tranquillement, tout ce qui est au soleil est très rapidement ramolli. Chaque changement léger d'orientation est radical. Sur les pentes n'ayant encore que peu vu le soleil, une croûte bienvenue est doucement présente. Pour monter c'est plutôt pas mal.
Le caillou bizzare dans la neige vient finalement de bondir dans un trou. Les marmottes se réveillent. Et dire que tout l'hiver des centaines de skieurs et skieuses ont glissé sur le matelas de neige qui lui fait office de toit.
Nous remontons la pente tranquillement en discutant, il fait chaud. Quelques dernières conversions puis nous arrivons sur l'arête. De l'autre côté c'est pelé, déjà l'été.
Nous arrivons au "sommet", disons le point le plus haut. Une pente intéressante est accessible, nous donnant l'espoir d'une croûte hospitalière... En attendant, pause. Par chance il reste encore quelques cl d'eau dans la gourde. Je la termine en regardant Félix droit dans les yeux. Il se dessèche à vue d’œil. C'est ça l'esprit montagne.
Meuh non j'déconne! Suis pas cablé pour enjamber des cadavres! Je laisse ça aux célébrités avides d'un toujours plus. Bref, on boit tellement peu qu'il nous reste même de l'eau.
Pas de vent, on traîne en T-shirt sur ce sommet désert, c'est vraiment confort. Pour le passage en mode descente, je me force à mettre des gants et une veste. Parce qu'on sait jamais.
Allez, il est bientôt 10 heures, il faut y aller.
Nous chaussons les skis, face à une magnifique pente. Ce n'est pas la face que nous avons remonté, elle a été un peu moins au soleil mais est plus raide. Nous espérons y trouver des conditions de ski décentes, mais sans grand optimisme.
Clin d’œil du destin avant de s'engager dans cette face douteuse, un énorme oiseau apparaît. Il plane, il a le bout des ailes noires, il est balaise. Mes connaissances ornithologiques poussées m'aident à établir le diagnostic de cet espèce d'ovni : c'est un gros piaf. Ou une grosse Piaf (déso Edith).
3 autres copains ou copines à lui (ou à elle donc) apparaissent. C'est bon, je suis formel : ce sont des vautours fauves. Il y a quelques années, j'avais demandé à un gars du coin si les loups étaient un problème dans la vallée. Il m'avait répondu que non, grâce aux chiens de protection des troupeaux. En revanche, l'apparition des vautours fauves, tout droit venus des Pyrénées, était bien plus préoccupante car ils attaquaient les veaux.
Les légendes on la vie dure... Je viens moi-même du pieds de Pyrénées, et je ne m'attaque pas aux veaux... Quoi qu'un bon Axoa...
Mais bref, les vautours fauves sont des charognards, et dans la région du Maïkhorn/Kissgrat, à part deux hippies sur une arête, y'a pas grand monde à manger. Nous n'avons pas croisé de cadavre oublié dans la zone de la mort. Non, après Yakari, c'est Lucky Luke qui s'invite à la fête. Je repense au croquemort.
Nous sommes là, skis au pieds, en train d'admirer ces oiseaux majestueux avancer sans bouger. Nous allons nous jeter dans une pente toute pourrie, et Edith et ses copines (ou copains), n'attendent que l'erreur de jugement. Je vois ces vautours comme un avertissement, et en même temps j'apprécie pleinement la majesté de leur vol. Ils nous regardent sans doute différemment.
La partie haute n'est pas très raide, mais rapidement la pente s'accentue. C'est très humide. Un virage en haut de pente plus raide pour tester et le "sluff mouillé" dévale. Nous regardons cette neige descendre sans s'arrêter. Telle une tortue en mode bulldozer, la coulée récupère toute la neige qui veut bien se joindre à elle pour finir sa course en bas de la pente. Bien. Nous décidons sagement de traverser pour rejoindre les pentes plus douces que nous avons préalablement remontées.
La, c'est tout aussi mou, mais l'épaisseur du manteau diminuant avec l'altitude, la qualité du ski s'améliore. C'est donc sur la neige recouvrant l'herbe que nous aurons droit à quelques virages agréables. Une traversée de dépôts plus tard et nous voici arrivant au vélo sans avoir eu besoin de déchausser.
Fin des glissages sur neiges, j'apprécie le confort d'enlever les chaussures de skis et retrouver le T-shirt. Félix s'offre une petite marche pieds nus dans la neige et le ruisseau. C'est mieux qu'en chaussures de ski. Nous profitons de ce cirque montagneux désert pour boire un coup et débrancher tant les DVA que les cerveaux. La saison de ski dans les préalpes est pour beaucoup terminée depuis un bout, et la haute montagne a évidemment son attirance. Il est clair qu'aujourd'hui, évoluer à 4000m trouvait tout son sens.
Dernière descente à vélo, bien plus confortable et agréable que de porter les skis sur dos. Quelques épingles plus tard, nous voici déjà de retour vers le futur d'un quotidien qui reprend ses droits pour l'après-midi. Vivement la prochaine randonnée à ski.
4 Commentaires
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Comme l’an dernier on ne boude pas notre plaisir à vélo ski
Mais pas de « bulldozer » cette année 😉
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