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Tohoku, l’autre Japon du ski

Après 3 ans de pause forcée en raison de la fermeture des frontières japonaises, me voici de retour au Japon en cette fin janvier 2023. Un voyage de retrouvailles qui se veut différent. Différent dans la destination, puisque nous allons explorer la région de Tohoku (東北, littéralement Est et Nord, oui je me suis mis en tête d'apprendre les kanji), loin des spots habituels qui encombrent vos flux #japow. Différent aussi dans la narration puisqu'elle est sur ce voyage confiée à Maxime Petre, ami et fidèle collaborateur de skipass.com, qui apportera sa vision d'un Japon qu'il visite pour la seconde fois "seulement". Pour ma part, ce sera photo, conduite et organisation générale... En revanche certaines choses ne seront pas différentes : l'abondance de la neige, l'onctuosité des sushi, la magie des onsen, la bonne humeur et le style incomparables de Jeremy Prevost qui nous accompagne dans ce périple...

bref,  j'arrête de parler, c'est à Max maintenant de vous raconter nos belles aventures dans le Tohoku.

Guillaume

Préambule

C’est en 2021 que Guillaume me proposa de l’accompagner au Japon. Il souhaitait concentrer son voyage sur la photo et chercher quelqu’un pour écrire. J’ai d’abord refusé. Je gardais d’un premier séjour un souvenir ambigu : un choc culinaire et culturel mais des conditions de neige, bien loin des standards attendus. J’avais cette appréhension de revivre le même voyage fardé de la pression de sortir des textes. Le Japon n’ouvra finalement pas ses frontières aux touristes et Guillaume revint avec sa proposition à l’été 2022 : « Allez on y va ensemble ? ». Ce fut cette fois un oui avec la suggestion d’aller à la découverte de lieux que l’on ne connaissait pas : « Sortons des sempiternels Hokkaido et Hakuba pour aller vers un autre Japon, à l'écart des classiques ». On se pencha alors sur une carte d’état-major pour tracer des itinéraires, pointer des stations de ski peu connues, trouver des à-côtés culturels ou patrimoniaux.

Il ne restait plus qu’à attendre le feu vert des autorités japonaises pour clore le chapitre de la crise sanitaire et lever enfin les restrictions d’entrée. Le 22 septembre, le Japon annonça la réouverture de ses frontières au tourisme ; le 1er octobre, nos billets étaient pris tant Guillaume trépignait de retourner dans son pays de cœur. Trois ans qu’il n’avait pas foulé la terre du soleil levant, une éternité dans sa pratique japonisante entretenue façon pèlerinage quasiment chaque année depuis 2007.

Au mois de janvier 2023, un autre compagnon de route est venu se greffer à notre duo constitué. En envoyant des cartes de vœux à ses partenaires et aux médias, Jérémy Prévost ne savait pas qu’il allait se faire hameçonner par Guillaume pour se retrouver derrière l’œil du photographe à soulever de grosses gerbes. En soit, Jérémy n’est pas un inconnu des raids skipass au long court (Valais, Sibérie et récemment le Kazakhstan) et la complémentarité était évidente. Le duo devenait trio.

La vidéo du trip

Ce qui est bien avec Jeremy Prevost, c'est qu'en plus de skier, il filme. Il a aussi un oeil photographique très sûr mais on ne va pas le dire trop fort de peur de se faire remplacer s'il décide en plus de se mettre à écrire. Un athlète complet en somme. Bref, voilà sa vidéo du trip et elle est cool!



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Cap sur Tohoku, le Japon méconnu

Le ski au Japon se résume trop souvent à Hokkaido et Hakuba, Niseko et Happo One. Comme tout ce qui est loin et ne ressemble en rien à ce que l'on connaît, cela peut rassurer d’aller vers des lieux éprouvés où la part d’inconnu est limitée.

Située au nord de l’île principale de Honshu, la région de Tohoku et ses cumuls de neige vertigineux, est aussi un territoire de ski et d’onirisme avec sa myriade de petites stations et ses sommets accessibles aux skieurs de randonnée. À la fois enclavée et associée à un climat rude, elle s’est longtemps fait oublier se murant en terre de nature sauvage et de solitude loin des itinéraires touristiques logiques. Dans son livre « Vivre le Japon », l’écrivain Yutaka Yazawa soutient d’ailleurs que « Tohoku constitue peut-être le secret le mieux gardé du tourisme au Japon ». Ce territoire singulier et traditionnel, en marge des récits, s’est donc facilement retrouvé au cœur de notre projet.

L’inspiration a souvent sa source mais pas pour Tohoku et donc quand il est question de voyage au Japon, Tatsuya Tayagaki, ami de longue date de skipass, n’est jamais loin. Intermédiaire, organisateur, guide, accompagnateur, il est la pièce maitresse pour produire toutes les informations nécessaires afin de déchiffrer le Japon et dénicher les bons contacts. La destination entre les mains, il a façonné la préparation usant de son carnet d’adresse pour rendre ce voyage itinérant le plus immersif possible. Le plan était de prendre le temps, de ressentir les lieux et surtout d’ajuster le planning en fonction des envies et des coups de cœur. Une dizaine de stations était cochée, les trois premiers jours bloqués à Aomori Spring et la suite confiée à nos aspirations.

Ce voyage fait d’errances avait toutefois balisé son triptyque : volcans, onsens et monstres des neiges. Le Tohoku est, en effet, connu pour ses juhyo ou « monstres des neiges », forêts d’arbres pétrifiés par la neige, silhouettes blanches fantomatiques, véritable attraction psychomagnétique chez les Japonais.

24 heures à Tokyo

Guillaume et moi débarquâmes à Tokyo un dimanche en début de soirée dans un aéroport fourmilière avec plus d’agents pour vous assister dans vos démarches que de voyageurs à la descente de l’avion.

Jérémy, arrivé quelques heures avant nous, avait déjà le ventre plein de Yakitoris - brochettes à la japonaise - et d’Asahi mais il ne résista pas longtemps à la pression de Guillaume de repartir pour un deuxième repas. Le décalage horaire a ce désavantage de déstabiliser notre boussole interne alors autant en profiter.

Le premier restaurant Sushi Zanmai nous plongea tout de suite dans le grand bain des erreurs protocolaires, de la barrière de la langue, des émotions sensorielles et de grands débats savoureux « la petite touche de wasabi, c’est entre la tranche de poisson et le riz ou sur le dos du poisson ? ».

Stupeur et tremblement

Après un si long voyage, le premier réveil est toujours difficile et lent. Le mode avion désactivé, les téléphones de Jérémy et Guillaume s’agitent tous azimuts ce lundi 30 janvier. Plusieurs skieurs ont perdu la vie dans une grosse avalanche à Hakuba, dont le pro skieur américain Kyle Smaine qui était en trip avec le photographe Grant Gunderson. Le monde étant petit, Tatsuya, qui devait nous rejoindre sur ce trip, avait accompagné le groupe les jours précédent le drame. Il décide de rester à Hakuba pour assister le groupe dans les pénibles formalités liées à l'accident. Cet évènement malheureux donne d’entrée le ton du séjour et met un peu de tension dans les esprits, entre lieux inconnus et tempêtes de neige. 

Passé cette entrée en matière difficile, nous nous resynchronisons naturellement avec Tokyo à essayer de compresser dans une journée un condensé d’atmosphères urbaines, du jardin zen aux gratte-ciels. Au menu de nos déambulations : le parc Meiji-jingū, Omotesando, la Mori Tower et bien sûr, le tourbillonnant quartier Shibuya, visites entrecoupées d'arrêt saveur avec okonomiyaki (galette de chou japonaise) au Design Festa Gallery et de chirashi sushi.

Shinkansen, le train des neiges

A l’aéroport d'Haneda, Yamato, le génial service de transfert de bagages,  n’avait pas pu prendre nos skis pour les envoyer directement à Aomori, notre premier arrêt ski. « Trop de neige » nous avait-on dit pour garantir une arrivée en temps et en heure, ce qui aurait été ballot pour un ski trip de commencer sans nos armes de poudre.

Mardi 31 janvier, nous sommes donc tous les trois avec notre barda sur le parvis de notre hôtel dans le quartier Shinjuku à interpeller les taxis qui passent dans la rue. Un, deux, trois refusent la course en apercevant nos monstrueuses housses. Le stress monte et le risque d’aller trainer notre fatras dans les escalators bondés du métro augmente. Puis, un chauffeur bienveillant s’arrête, regarde, se questionne, mesure et nous dit oui. Bénit fût-il. Il appelle un de ses camarades de métier et nous voilà en route à toute berzingue dans un Tokyo étonnement fluide pour la gare de Marunouchi. 

Un donuts et un café à l’américaine vite avalés, nous nous retrouvons sur le quai à attendre de façon rangée et protocolaire devant la rame du Shinkansen. Le paysage défile vite à bord de l’anguille sur rail. Nous avons à peine dépassé la conurbation de Tokyo que les premières neiges apparaissent sur les Monts Tsukuba. L’ambiance est feutrée dans le compartiment : les doigts des travailleurs japonais tapotent sur les claviers, une dame distribue des gâteaux façon « ouvreuse de cinéma » pendant que nous pestons contre les tunnels trop nombreux pour profiter des paysages. Ce voyage ressemblait aux premiers mots de Yasunari Kawabata dans son livre « Pays de neige » : « un long tunnel entre les deux régions, et voici qu’on était dans le pays de neige. L’horizon avait blanchi sous la ténèbre de la nuit. Le train ralentit et s’arrêta au poste d’aiguillage ». Son intrigue n’avait pas de géographie mais ce décor composé uniquement de blanc pouvait s’apparenter à la gare d’Aomori où le « transperceneige » Nippon nous arrêta, quatre heures après avoir embarqué à Tokyo.

Into the wild sur la route d’Aomori Spring

Nous scrutions depuis quelques semaines la webcam de l’aéroport d’Aomori, notre boussole nivo-météorologique. Ce matin de descente de train, c’était encore plus fou que dans l’œil de la caméra. Tous les protagonistes de la tourmente étaient réunis sur le parvis de la gare : l’épais manteau blanc, le vent, le froid et le chant silencieux de la neige qui vous cingle le visage. Pas pour rien qu’Aomori est considérée comme la ville la plus enneigée au monde.

La voiture, indispensable si vous voulez sortir un peu des sentiers battus. Vous pouvez lire l'article que nous avions consacré il y a quelques années à la conduites au Japon. Et comme d'hab, on remercie très fort Japan Experience pour leur soutien au fil des années !

Ajoutez des photos (2020px)

Même Guillaume y a mis du sien, avec son sens de l’orientation légendaire, pour nous faire profiter de ce climat inhospitalier à errer dans la tempête à la recherche du loueur de voiture qu’il n’arrivait pas à géolocaliser. Quelques appels d'essuie-glace plus tard et la quête de la lumière bleutée d’un konbini Lawson pour déjeuner, nous étions enfin lancés « à travers route » à la découverte du Tohoku. 

Nous sommes passés en quatre heures de train, du Japon de l'ultra-modernité à l’arrière-pays sauvage et blanc.

Jérémy

L’itinéraire vers la station d’Aomori Spring passait non loin du sanctuaire de Takayama Inari-jinja, une divinité polyvalente veillant sur les bonnes récoltes, la sécurité en mer et la prospérité. On s’est dit qu’elle pouvait étendre sa protection à notre voyage. C’était aussi l’occasion d’aller saisir l’âme de cette région imprégnée de croyances et de traditions.

Au crépuscule le plus sombre, emmenés par un gps cacophonique, nous arrivâmes enfin au Rockwood Hotel & Spa d’Aomori Spring non sans avoir sur la route patienté devant un bus abandonné, objet culturel pour Guillaume. Un épisode qui nous coûta le rendez-vous d’accueil avec Tomo Yasuda, le boss de la station…pour quatre minutes, car les Japonais sont précis et il ne faut pas transiger avec l’heure dite ! Mais la neige d’Aomori n’était pas rancunière.

Le lendemain, les attentes seront comblées, mais ça c'est à découvrir dans le premier article...

ありがとうございます

Avant de vous faire découvrir nos aventures en cinq épisodes, des remerciements s'imposent pour :

- Japan Experience  pour la mise à disposition d'une voiture à la taille parfaite pour notre itinérance sur Tohoku et à l’excellente tenue de route en conditions hivernales extrêmes comme celles vécues dans l'incroyable montée d’Hakkōda ; pour l'indispensable carte SIM 4G également qui nous a bien aidé pour naviguer sur les routes blanches et échanger sur les shoots photo dans la neige. A noter que désormais Japan Expérience propose également des e-sim, ce qui est encore plus simple si vous avez un téléphone compatible. Et très gros avantage sur la concurrence : les sim et e-sim Japan Experience permettent un partage de connexion , ce qui n'est pas le cas avec la plupart des autres offres. le tout en étant moins chères, que demander de plus...

- les stations d’Aomori Spring (Tomo Yasuda) et Geto Kogen (Sadahide Sugawara) pour l’accueil incroyable, le guiding, les échanges savoureux et la neige commandée en grosse quantité pour notre séjour. 

- Tatsuya Tayagaki, le skieur, l'ami, king of Japan...  qui n'a malheureusement pas pu nous rejoindre sur le trip mais qui nous a une fois de plus ouvert les bonnes portes. Ce n'est que partie remise pour shooter de nouveaux ses légendaires backflips.

- Coté guides, même si nous n'avons pas utilisé leur service cette année, je sais qu'Hokkaido Power Guides ont une très bonne connaissance des lieux. Et pour avoir tourné sur Hokkaido avec en eux en 2020, je peux les recommander les yeux fermés. Que ce soit votre première visite ou la dixième, avoir un guide transformera votre voyage, sur les pentes comme en dehors.