[Interview] Jérémie Heitz

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[Interview] Jérémie Heitz

Nous avons parlé compétition, freeride, projets et pente raide avec le fameux skieur suisse
article Jeremie heitz
KillaWhale
Texte :
Photos :
Tero Repo, J.BERNARD
Vidéo :
TimeLinemissions, Freeride World Tour

Nous avons croisé Jérémie Heitz au début du mois de janvier à Lech Zürs, en Autriche. Bien connu pour son ski très rapide et technique, le skieur des Marécottes âgé de 26 ans participe actuellement au Freeride World Tour, la quatrième saison pour lui sur le circuit, après avoir fini en deuxième position au classement général l'année dernière. Il est l'un des favoris pour le titre et sera au départ de l'étape de Chamonix qui arrive, à la suite de sa belle seconde place en Andorre à Vallnord. Il travaille en parallèle sur un projet personnel, le film La Liste, consacré à la pente raide. Nous lui avons posé quelques questions sur ces différents sujets et ses ambitions futures.  

L'impressionnant teaser de La Liste :


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La compétition : le Freeride World Tour

Peux-tu nous rappeler tes derniers résultats ?

Deuxième du classement général l'hiver dernier. Sur les dernières années, j’ai fait quatrième, troisième puis second l’hiver dernier. Quand j’ai fait quatrième je m’étais blessé, donc je n’avais pas pu finir le Tour. Je suis resté dans les points pour me qualifier et enchainer la saison suivante, où j’ai fait une bonne saison en finissant troisième. Et enfin l’année passée, second. C’était un peu à chaque fois à Verbier que tout se jouait. Et à chaque fois, le titre m’est passé sous le nez de peu. C’est pour ça que je continue encore cette année !

Tu commences à le connaitre ce Bec des Rosses, tu l’as fait combien de fois en compétition ?

Cinq fois au total ! Je l’ai ouvert d’abord, deux fois, puisque je n’avais pas encore l’âge de courir. Ensuite j’ai loupé la fois où j’étais blessé, et ensuite trois fois en compétition. C’est une compétition à part, c'est là que ça a commencé, à l’époque où il n’y avait que l’Xtrem de Verbier, et en snowboard d’abord. Quand je me suis intéressé au freeride ça a commencé en ski, pendant la victoire de Jean-Yves Michellod, que je connaissais. Ce sont des choses qui m’ont vraiment motivé, de voir ces skieurs sur le Bec ! C’est là que tout a commencé et c’est aussi là que le FWT se finit, sur une montagne qui est vraiment différente des autres. C’est plus raide, plus long, c’est là qu’on voit vraiment les bons skieurs. C’est le spot idéal, il y a une terrasse devant pour le public, on est au sommet en moins d’une heure, il y a des lignes pour tout le monde, des lignes ouvertes pour ceux qui veulent faire un peu des tricks, des couloirs engagés pour ceux qui veulent des choses un peu plus techniques, etc. 

Quelles sont tes ambitions pour cet hiver ?

Ce serait mentir de dire que j’y retourne pour faire deuxième ! J’ai vu ces deux dernières années que c’était possible, et comme je suis un peu compétiteur dans l’âme, j’ai envie de tracer enfin cet objectif que j’ai depuis longtemps sur ma liste. Après il y a tout de même une grande part de chance là-dedas, en freeride. Parfois tu peux mettre le ski un mètre plus à gauche, et le mec qui arrive derrière il le met un mètre plus à droite et il y avait un rocher… Je suis conscient de ça, je suis conscient que je pourrais ne pas aller en Alaska, même si j’ai eu 3 bonnes saisons avant. C’est comme ça, ce sont les règles du jeu !

Est-ce que tu as vu une évolution du jugement lors de tes années de compétition ?

Oui complètement. Tout d’abord il y a eu l’apparition de la vidéo, des ralentis. Les juges peuvent maintenant regarder la vidéo directement pendant le jugement. Lorsqu'on arrive en bas, le score s’affiche une ou deux minutes après. Et c’est parce qu’ils re-regardent le run en vidéo, ils font des ralentis, ils regardent si on a été propre, si on avait le contrôle, etc. Donc ça oui ça a été une évolution, après est-ce que c’est bien ou pas je ne sais pas trop… Je pense que c’est bien pour les réceptions, et pour les angles un peu cachés, que les juges ne verraient pas forcément. Mais ce n’est pas du ski alpin, c’est un sport de show et je pense qu’il faudrait aussi noter la "wow impression" : quand le mec passe on a l’impression que c'était fou, en fait c’était peut-être facile mais c’était une belle action et je pense que ça, ça devrait faire partie de la note. Après c’est impossible de juger et mettre tout le monde d’accord, c’est comme dans le patinage artistique. C’est tellement dur… Ils font un beau boulot, mais il y a toujours des gens qui ne seront pas contents, pour ma part je n’ai pas été content à Verbier mais c’est comme ça, tu ne peux pas aller gueuler sur les juges à chaque fois. Sinon tu ne prends pas part à une compétition, tu vas faire du ski de ton côté. 

 

Le run très, très rapide de Jérémie sur la première étape du FWT 2016, à Vallnord en Andorre, où il a finit second :


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Un skieur rapide

Comment est-ce que tu définirais ton style de ski ?

Tout d'abord j’ai fait de l’alpin jusqu’à 16 ans, dont deux ans en courses FIS. Puis j’ai naturellement "switché" pour le freeride. J’essaie d’exploiter au maximum mes atouts, dont ma technique de ski que j’ai apprise pendant toutes ces années dans les piquets. Rapidement j’ai pu voir que j’arrivais à skier vite, notamment dans les parties techniques. Je me suis dis que je n’allais pas essayer de faire des tricks ou du freestyle dans mes runs, je voulais faire quelque chose d’unique avec ce que je savais faire, et maintenant j’arrive à prendre lignes assez techniques que je suis parfois le seul à prendre ! Par exemple, sans me comparer bien sur, Xavier de Le Rue avait le même raisonnement : il avait de la facilité à aller très vite. Donc il prenait des lignes en conséquence, et ça payait !
Je me considèrerais plutôt comme un skieur alpin plutôt qu’un freerideur au style backcountry. Il y a vraiment ces deux évolutions, ces deux styles dans le freeride. Et il y a des gars comme Loïc (Collomb-Patton) qui arrivent à faire les deux : il va skier dans des endroits improbables, et puis tout d’un coup il met un 36 sur une barre, ce sont des mecs assez redoutables ceux-là ! Ils ont fait les X-Games quand ils étaient plus jeunes, ils viennent du ski de bosse, etc. Un peu comme Candide, c’est la même école ! Quand ils sont en forme tu ne peux pas faire grand chose contre eux… Après nous sommes une vingtaine de skieurs au départ, pour moi nous sommes tous susceptibles de gagner et finir sur le podium. C’est bien sélectionné, certains arrivent des FWQ, d’autres sont invités mais ils ne le sont pas pour rien, tout le monde a le potentiel de finir sur la boite et finir champion du monde à Verbier. Et c’est ça qui est excitant, on ne sait jamais qui va gagner ! Chez les hommes en tout cas, parce que l’année dernière Eva (Walkner) avait déjà gagné dès l’étape d’Alaska.

Comment te prépares-tu avant une saison de ski ?

Je fais ça tout seul. En général, je finis fin juin de skier, et là je prends entre un mois et un mois et demi de pause. Je pars au chaud, ou en tout cas je fais totalement autre chose, pour couper les ponts, se reposer, etc. Ensuite je rentre, et je fais aussi beaucoup de deltaplane donc je vole pas mal, et à côté je commence l’entraînement. De l'entraînement au fitness pour garder le physique. Je fais beaucoup de vélo aussi, j’ai la chance de m’entrainer avec un ami qui fait de l’enduro. On fait les mêmes entraînements au fitness donc ça motive bien vu qu’on est pas fédérés et qu’on a pas de groupe en Suisse. Dès que je peux, lorsque les glaciers ouvrent, je vais faire un ou deux jours par semaine de ski, souvent du slalom, histoire de reprendre le feeling, de glisser simplement. Et j’essaie de ne pas reprendre trop vite, cette année c’était facile, mais lorsqu’il y a de bonnes conditions dès le mois de novembre, j’essaie de me tempérer un peu, ne pas être excité par les premières neiges parce que c’est tout le temps là qu’on se blesse. Et en même temps, je fais très attention à ce que je mange, comment je m’entraine, etc. Le freeride s'est beaucoup professionnalisé, et je pense que si tu ne t’entraines pas sérieusement, tu n'as aucune chance de rivaliser avec les gaillards qui sont sur le tour maintenant. 

La Liste : un film de ski de pente raide

Alors, ton projet, parles-nous en ! D’où vient cette idée ?

C’est une idée que j’ai depuis assez longtemps. Pour faire un projet déjà il faut gagner la confiance des partenaires, et grâce à mes saisons sur le FWT, ils m’ont suivi et j’ai pu présenter un projet qui coûte tout de même des sous. Et je ne voulais pas faire un projet "classique", un voyage au Japon, etc, un truc que tout le monde a déjà fait. Dans l’évolution du freeride, il y a ceux qui font des sauts dans la poudreuse, et il y a ceux qui vont skier le plus vite possible dans des endroits plus improbables. Je fais plutôt partie de cette deuxième catégorie, avec San Anthamatten, Xavier de Le Rue, etc. C’est ce type là de ski qui m’a toujours attiré. J’ai vu ce qu’ont fait les premiers skieurs, comme Sylvain Saudan, André Anzévui, Pierre Tardivel, plus récemment Andreas Fransson, etc. De la pente raide. Et c’est ça qui m’attire. J’ai skié pendant longtemps sur des terrains de freeride, et quand tu arrives à un certain niveau, tu as envie d’en voir plus, dans des pentes plus raides, en altitude, dans un environnement de "vraie" montagne. C’est ce qui m’a poussé à faire un projet comme ça.
On ne trouve pas beaucoup des skieurs qui sont partis dans cette direction finalement. C’est là que j’ai découvert un gros potentiel : faire un film de ski, en faisant ce que j’aime, en exploitant et poussant mon ski au maximum, mais en même temps explorer l’histoire du ski alpinisme. J'espère que c’est un film qui va toucher du monde, pas seulement les fans de ski, mais de montagne en général, comme mes grands parents par exemple. C’est vraiment le but, faire un reportage qui montre l’évolution du ski de pente raide.
J’aime beaucoup la pente raide, c’est un milieu tellement humble, il y a plein de choses qui se font "discrètement", sans caméra ou médiatisation, des trucs de fou. Il faut vraiment être sur de soi pour annoncer une première ! Et c’est si tu veux l’annoncer en plus. Il y a beaucoup de forts skieurs qui en ont rien à faire des sponsors ou d’être connus, et finalement ils font ça le samedi-dimanche, ou quand ils sont en congés, et ils font des choses incroyables, et ils n’en parlent à personne. J’ai des copains qui sont très discrets, et qui vont faire de sacrées choses. C’est ça que j’aime dans le ski, cet esprit : plus tu vas en montagne, plus ça évolue. Tu pars du freeride, qui a déjà un esprit très cool, et plus tu montes, plus tu fais de montagne plus c’est humble encore. Et les deux pratiques peuvent se rejoindre, c’est ce qu’on est en train de faire. On prend les avantages du freeride, et on les amène dans le ski alpinisme. On commence à aller dans des itinéraires de pente raide où jusqu’à maintenant ils faisaient plein de virages, et grâce à l'évolution du matériel, parce qu’il n’y a pas que la performance, on skie plus vite. Alors oui on s’embête un peu avec ce matos, parce qu’on prend des chaussures plus rigides, des skis plus lourds, mais comme ça on favorise la descente et on peut skier comme on veut. Bon par contre, on en chie à la montée…

Tu fais de la pente raide avec des skis larges ?

Ah oui, avec ce que tu as testé aujourd’hui, des Scrapper 124. Mais ce n'est pas fait pour, non ! Habituellement ce sont des skis plus fins, assez courts pour les couloirs étroits et virages sautés. C’est aussi pour ça qu’ils font un Scrapper plus étroit pour 2016-2017, le 115, et je suis en train de tester différents flex pour pouvoir le prendre à la fois sur les compétitions de freeride mais aussi en pente raide, ce serait l’idéal. Mais il faut savoir aussi que je vais dans ces faces quand il y a de bonnes conditions. C’est une grosse partie du projet : repérer les faces quand elles sont bonnes, et c’est un, voire deux jours dans la saison seulement. En plus, il faut y aller le matin pour avoir la lumière dans ces faces nord/nord-est. C’est donc beaucoup de boulot et d’organisation pour pouvoir skier ces faces comme je les skie. Et du coup pour skier vite tu n’as pas besoin d’avoir des petits skis maniables et taillés, tu peux skier avec des skis plus larges sans soucis. Bon, je me suis quand même fait avoir une fois, où c'était tendu…
J’ai donc fait une liste de 15 sommets de plus de 4000m des Alpes, que j’ai sélectionnés pour leur raideur. J’ai aussi sélectionné ces montagnes pour leur beauté, de belles pyramides, de belles faces, et aussi pour leur histoire. Par exemple Sylvain (Saudan) il a ridé le Spencer, couloir de Chamonix, 20 ans avant que je sois né ! J’ai fait une interview très intéressante pour le film, avec lui et d'autres skieurs de pente raide à Chamonix, où j’avais amené mes skis, super larges, avec du flex, des skis vivants quoi ! Et ils m’ont montré leurs skis d'époque, qu'ils avaient amené : des machins de 2m10, super fins en largeur mais très rigides, avec des sortes de carres… J’ai voulu leur rendre hommage avec ce film. Notamment Sylvain, qui en plus n’est plus tout jeune, c’est le précurseur du freeride et de la pente raide.
Egalement, le but est de tout faire à pied, comme le faisaient les anciens. En pente raide, c’est vraiment la clé, tu montes dedans, tu vois ce qu’il y a. Ces faces en été ce sont des murs de glace, alors même si ça a l’air blanc, parfois en fait il y a juste 5cm de neige et tu finis par faire toute la face sur les fesses… Donc on monte dedans, et on regarde les différents pièges qu’il peut y avoir, les cailloux, de la glace toute proche, etc. Monter dedans, c’est un bon moyen de voir où tu descends et ça paye pour la fluidité du ski. 
Le film est tourné sur deux hivers, le précédent et celui-ci, et devrait sortir, je l’espère, à l’automne prochain. C’est dur à prévoir, c’est un peu un deuxième hiver le printemps. Tout ces orages qui font penser à l’été, et on a envie de cette neige un peu plus humide, qui colle ! Ce sont des orages super rapides, avec un peu de vent pour que la neige colle sur ces faces très raides. C’est un long procédé en fait, c’est pour cela qu’elles ne sont bonnes qu’à partir du mois d’avril. On compte un peu sur la neige d’hiver pour que ça fasse une surface d’accroche, et qu’après ça repose par dessus cette neige un peu plus collante. La pente raide c’est quand même quelque chose qui se fait plutôt au printemps. Il y a eu aussi des premières qui se sont faites en novembre bien sur, mais on ne vit plus les mêmes hivers qu’à cette époque.
Pour le moment j’ai fait cinq faces. Après on parle de la Liste, parce que c’est le titre du film, mais il ne faut pas se focaliser sur les 15 sommets que je voudrais faire. C’est mon objectif, mais ce ne sera pas forcément l’histoire du film. Cette liste peut se modifier, notamment parce que la montagne est capricieuse. Parmi les 83 sommets de plus de 4000 des Alpes, j’ai choisi les plus beaux à mon gout. Et on se concentre sur les Alpes, sinon il y aurait de quoi faire partout dans le monde… On est partis au Népal cet été, on a repéré beaucoup de choses. Là on fait l’évolution du sport chez nous, mais une fois que tu as skié les choses les plus hautes et raides dans les Alpes, il faut aller voir ailleurs. L’Himalaya par exemple. J’y étais avec Sam Anthamatten, on va y retourner cet été repérer des faces.

Quelle place prend le repérage dans ta pratique ?

C’est la base du ski. Toutes les personnes qui font de la pente raide passent énormément de temps à repérer. Tu ne peux pas dire « oh il a neigé, ça devrait être bon là-haut ». Si tu n’y vas pas dans les bonnes conditions, soit tu te fais vraiment chier à skier, soit tu tombes et t’es mort. Même en repérant, tu n’es pas sur des conditions, alors… Je commence souvent en avion, on fait des tours des Alpes pour voir un peu comment le vent a soufflé, comment la neige a collé. Ensuite tu vas sur les glaciers, puis tu regardes aux jumelles. Il y a aussi des choses qui se voient depuis les routes, depuis les stations de ski. Les cartes c’est bien, mais ça ne te dit pas comment est la neige, donc il faut aller voir. Dans les faces de La Liste, la plupart sont des faces mythiques, très belles, qui ont déjà été skiées donc ce ne sont pas des découvertes, mais il faut voir l’état où elles sont et voir quand sera le bon moment pour y aller. En pente raide, le repérage c’est la clé, d’autant plus si tu veux skier vite. Il faut être au courant de tout ce que tu peux trouver sur ta route, pour avoir le moins de surprises possible.

Est-ce que tu penses à la suite de ta carrière ?

Ah oui j’y pense, je suis Suisse quand même ! J’ai un diplôme de paysagiste. J’ai tout le temps voulu faire du ski, mais j’ai toujours tenu à avoir un diplôme au cas où, si le ski ne marchait pas ou si je me blessais. J’ai donc fait jardinier. Après je ne pense pas que je ferai ça plus tard, mais au moins si jamais ça ne va pas avec le ski, si je me fais mal, j’ai toujours un plan de secours. Je pense qu’au mieux, il me reste au moins une dizaine d’années dans le milieu, mais ce n’est pas sur que j’ai toujours envie de vouloir tenter d'être au plus haut et pousser le sport pendant encore dix ans. J’en ai envie maintenant, mais d’ici là, on verra. En tout cas, j’ai envie de continuer à vivre en montagne, c’est sur.

Pour finir, un best of de la saison 2013 de Jérémie sur le Freeride World Tour, où il skiait déjà très vite :


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