Derriere le physique d’un chene,
(peut se cacher) un roseau
Au mois d’Avril dernier, quelques mois seulement apres avoir
glorieusement termine notre premiere course main dans la main, mon oncle Doudou The Devil me
telephone pour me lancer un nouveau defi : le « TGV”. « Heu… oui…
mais, que veux-tu dire mon Doudou ? » « Je veux dire que je
te propose de faire le Trail des Glaciers de la Vanoise ». Touchee par
cette invitation, il ne me faut pas plus de temps pour accepter que lorsque
j’avais lance a Papa 2 ans plus tot a Chamonix « l’an prochain c’est moi
que tu applaudiras », tant je suis emballee a l’idee de faire une nouvelle
course avec mon fidele supporter et futur fidele co-equipier !
Jour J : reveil a 3h, et direction la ligne de depart vers 4h40. A
quelques minutes du depart, l’organisation nous demande une minute de silence
pour les disparus du Mercantour quelques jours plus tot ; une course
similaire ou 3 concurrents sont decedes suite a des conditions climatiques
épouvantables. Le cerveau n’est pas encore bien eveille mais il l’est assez
pour me dire que ce n’est pas une super mise dans l’ambience …
5h, enfin le depart est lance. En seulement quelques metres Doudou est
devant moi. En quelques kilometres, il me devance de pres de 2 minutes, mais je
ne suis pas etonnee, he’s been training hard for his Iron Man the Devil ! Nous
nous retrouvons sur le premier ravito, au Refuge du col de
Nous repartons ensuite ensemble sur les 14 kilometres suivants pour
rejoindre le Refuge de l’Arpont à 2309m. Tout va bien, nous allons a rythme
normal, ce qui laisse a Doudou le temps de faire « quelques »
photos.
Redepart a nouveau ensemble pour le passage un peu chiant de la course
avec beaucoup de ups and downs mais nous rejoignons a quelques minutes d’ecart
(pour une fois c’est moi devant ! J Surement une courtoisie du Devil !) le Refuge Plan Sec à 2310m. Nous sommes plutot juste sur la
barriere horaire, a peine une quinzaine de minutes. Aussi nous tachons de
trouver des restes de nourriture sur le ravito et repartons dare-dare, enfin,
apres encore quelques photos… tout de meme ! J La nous repartons pour 15 bornes relativement faciles : une bonne
petite montee mais apres, grande traversee puis grosse descente sur le Refuge
de l’Orgère à 1935m au km 51. Pendant la traversee, je commence a etre un peu
trop devant Doudou a mon gout aussi je me retourne regulierement pour voir ou
il se trouve. Au debut je me dis qu’il doit prendre des photos, ensuite qu’il a
du s’arreter pour une pause « Ou le roi va seul ». Et puis avant
d’entamer la descente dans le bois je ne le vois plus du tout. Je continue tout
de meme d’avancer, convaincue qu’encore une fois il n’est que quelques minutes
derriere moi. Arrivee au refuge, apres avoir repris 20 minutes sur la barriere,
je me refais une petite sante (que c’est bon les TUC et le fromage de pays bon
sang !!!!) en attendant patiemment Doudou car un gros bout nous attend
ensuite. Mais les minutes filent et je ne le vois pas arriver. Je demande alors
aux concurrents arrives apres moi (si si ca existe !) s’ils n’ont pas vu
un photographe… pardon ! un concurrent (et je leur fais la description).
Deux me disent qu’il correspond effectivement a quelqu’un qu’ils ont double
vers la fin et qui n’etait pas en tip top etat … Disons qu’il etait un peu dans
l’etat de quelqu’un qui aurait trop bu pendant Bayonne … Petrifiee par cette
annonce, j’espere qu’ils se trompent de personne et je continue de scruter les
derniers metres avant le refuge, tout en commencant a penser a « what’s
next »… L’idee de continuer seule ne m’enjoue guere, pour 2 raisons :
d’une part parce que j’imagine mes oncles et tantes parler entre eux, commenter
et dire que ce n’etait pas bien du tout de ma part de le laisser derriere dans
cet etat, « il aurait pu y passer », etc… Ndlr ; dans ces
courses, quand on est un peu fatigues, l’imagination prolifere !!!!
J’attends alors encore un peu. Puis il va vraiment etre temps de repartir …
J’hesite j’hesite : ce n’est pas comme si je briguais la premiere place !
(non pas cette fois-ci ! J ) et
puis nous avons decide de faire cette course ensemble alors it’s no fun to
continue on my own … Mais je me dis egalement que s’il devait me voir la, a son
arrivee, abandonnant « pour lui », il me collerait un sacre
« bourre-pif » !! Alors je decide de repartir en laissant un
petit mot a son attention.
Repartir… oui d’accord, mais toutes ces emotions m’ont bien gardee de
me concentrer sur le « troce » qui m’attend a present … 8 kms et 1000
m de denivele d’ascension pour atteindre le col de Chaviere a 2796m, sous la
chaleur encore ecrasante… Continuer or not continuer en fait ?! Mais si,
continuer of course ! J’attaque donc la premiere partie de la montee a bon
rythme, je laisse litteralement sur place les 4 costauds derriere moi. Arrivee
au replat, a mesure que le sol s’aplanit, je me dis que j’y suis deja, mon D*
mais I rock !! Ce n’est pas possible, j’ai bouffe du Kilian Jornet voire
meme de l’Haile Gebreselassie au dernier ravito !! Mais la, je dechante
tres tres vite… La trace s’aplanit bel et bien mais part s’evanouir dans cette
immense cirque qui se couvre d’une toiture grisatre et surtout dont l’unique
sortie semble etre ce mur la-bas tout tout tout au fond, avec ces petites
fourmies qui escaladent ce neve-rempart … Non, non, non… NON ! NON !
NON ! Ce n’est pas possible ! C’est pas la qu’on va !! C’est pas
possible, c’est a encore au moins 3 jours de marche !!!! Mais maintenant
que j’ai lachement abandonne Doudou, je ne vais certainement pas m’arreter.
Alors, je remets mon cerveau et mes etats d’ame dans mon sac a dos, sous vide
dans un Zip Loc et je continue d’avancer, au plus regulier possible,
« comme un metronome (que j’aurais bouffe etant petite) » selon les
dires d’une autre concurrente. Il faut que je pense a quelque chose
d’agreable : une plage de neige fraiche, une pente vierge, personne, seuls
Luc (Alphand) et moi, de la poudre aussi legere que l’air qui virevolte autour
de nous, en mangeant du gateau basque… Just the perfect dream ! Mais
soudain, my perfect world est « rocked », completement retourne par
l’un des coups de foudre (different de celui de Luc et moi J) les plus dechirants jamais entendus… Je rouvre alors les yeux et
decouvre que cette toiture grisatre s’est completement refermee sur nous en
changeant au noir encre, ne laissant aucune chance au plus courageux d’entre
nous… Bon d’accord, j’en rajoute un peu, mais pas sur la couleur du ciel ni sur
le tonnerre qui se vivifie et nous transperce les tympans chaque coup un peu
plus… Mais, encore une fois, je laisse mon encéphale dans son sac et y rajoute
mes oreilles… J’avance, j’avance … J’arrive enfin au pied de cette muraille.
J’entame la premiere partie en eboulis où un pied en avant me ramene quatre pas
en arriere… Presque comme a Bayonne ma X-tine … Malheureusement, pas de carte
chance, ni de passage par la case « teletransportation jusqu'à la ligne
d’arrivee… ». Soit, j’avance. Puis,
au moment d’attaquer le neve, nous sommes survoles par un helico de la gendarmerie.
Helico à gendarmerie àcol à orage… Ok, la course vient d’etre
annulee, nous allons donc etre helitroyes depuis Chaviere. Nouveau flash
imagination : je m’imagine une cage a requins, suspendu au bout de
l’helico, pour les derniers participants et moi-meme, pour un helitroyage
jusqu'à a Pralo, pendus dans le vide, transis de froid, debout, tous en pleurs,
essayant d’appeler nos proches … ». Non c’est pas possible ! Je
ne peux pas faire ca ! Je prefere crever foudroyee que de monter dans cet
helico, ou plutot cette tombe d’acier ! Mais un nouveau coup de tonnerre
me ramene a moi et une pluie diluvienne commence alors a tomber du plus fort de
son poids, me trempant completement en quelques secondes. Je continue
d’avancer… Enfin j’arrive au col ou je suis accueillie par un tres beau CRS J … Je m’avance vers lui, alors que nous sommes dans une situation des
plus romantiques : la menace/peur de la mort (mais si,
presque !), l’isolement, la pluie, les elements se dechainant, cette
rencontre inattendue … « Excusez-moi, heu, qu’est-ce qui se passe ?
La course continue ? » Et la, comme dans le plus beau des films, il
me lance, de sa voix savoureusement distante : « Ben ouais hein,
maintenant tu descends. ». Mon Dieu, je (ne) suis (pas) amoureuse ! Quelle (in)delicatesse
dans ses paroles ! En plus, il pointe le chemin du doigt sans regarder, ne
daignant meme pas me regarder… Oui, c’est sur, je suis amoureuse ! Je
n’oublierai pas de (ne pas) demander son numero a l’organisation ! J J Goujat ! Alors, guidee par l’Amour
(really ?), en tout cas, a l’aveugle, je me lance a corps perdu dans la
descente. Ou devrais-je dire : les toboggans aquatiques !! Aurais-je
mal lu le descriptif de la course ?! Ma teletransportation aurait-elle en
realite fonctionne ? Serais-je a Walibi ?! Cela y ressemble fort en
tout cas ! Pour preuve : j’attrape cette corde-fixe a laquelle je
m’accroche du peu de forces qu’il me reste et que le froid m’a laisse et je
n’ai qu’a me laisser glisser pour me retrouver plusieurs metres plus bas… Mon
Dieu mais c’est genial ! Et dire que j’ai failli abandonner et que
j’aurais pu louper ca ! Someone was watching me and guided me !! Mais
comme dans tout parc a theme, il y a les montagnes russes, avec ses hauts, et
ses bas : je suis en course depuis pres de 13 heures, seule, en montagne, a
2700m sous l’orage et la pluie moussonienne… Et je n’ai toujours pas de
nouvelles de mon Doudou mais je n’ai pas pour autant la force de m’arreter pour
sortir mon portable. Je ne peux alors pas non plus voir si maman m’a laisse un
message. Nouveau flash imagination : apres le rappel du Mercantour ce
matin, je vois maman en pleurs devant son televiseur, ecoutant Harry Rose’ lui
lancer : « Un nouveau drame dans le petit monde des traileurs… »
Elle qui avait fait tant d’efforts en 2 ans pour comprendre cette passion,
m’accompagnant meme sur la CCC l’an dernier… Quelle injuste remerciement et
gratitude que je lui temoignais alors. Il me faut subséquemment lui
« prove wrong » aussi, encore et toujours, je continue a avancer. Je
rejoins 20 minutes plus tard le refuge Péclet
Polset au km 60. Je me change avec un T-shirt tout sec avant de finir toute
bleue. 2 petites soupes et c’est reparti pour les 12 derniers kilometres pour
rejoindre la ligne d’arrivee et les nouvelles « du monde exterieur ».
Portee surement par l’instinct de survie, je « devale » ces 12
derniers kilometres pour atteindre 2 heures plus tard les prémices du village.
J’aimerais avoir un nouveau flash imagination mais malheureusement ce sont bel
et bien des rues desertes qui s’ouvrent a moi. Mais qu’attendre d’un dimanche
pluvieux a 20h ? Qu’importe, je range a present mes jambes dans mon Zip
Loc, comme a chaque course, tant je vole, aimantée par cette ligne. Derniere
ligne droite, l’arche jaune et dessous, un photographe, pardon, mon Doudou qui
m’attend, avec son appareil (c’est bon, il va bien alors !!), avec l’un
des plus beaux sourires que j’ai vus, le meme que s’il avait lui-meme passe
cette ligne avec moi. Il ne m’en veut pas. C’est sur, tout va bien maintenant.
Alors je lui rends son sourire, encore plus grand, a mesure que je me rapproche
de lui et … la ligne, la fin, ses bras, ses mots. I’m safe.
Il y a eu la famille, l’hostilite des
elements, la victoire, mais ce n’est pas une vraie « happy ending »
mon Doudou. J’ai longtemps hesite avant de faire ce recit, qui me paraissait
trop amère. Puis je me suis dit qu’a la maniere de Primo Levi, il me fallait
« temoigner », moi la survivante mais parce que je sais que je te le
dois en partie : tu etais la avec moi ! Je sais que c’est toi qui a appelle les Elements et a
fait tourner les vents. C’etait toi l’orage a 2800, c’est toi qui grondais pour
me faire avancer, tes coups de tonnerre etaient en fait les onomatopées
pour « Allez allez, on y
va ! ».
Tout comme ce texto que tu m’avais envoye pendant ma premiere CCC juste avant
la montee au Grand Col Ferret, tu me disais « Hate toi doucement, on (je)
est (suis) avec toi ». Mister Devil, now I’ll call you « Lifeguard »
if you don’t mind !!!!! And I’ll listen for the thunder during the UTMB in
one month …