Tout, à Grenoble, invite à l’évasion. A commencer par le téléphérique – “les bulles”, comme on dit ici – qui part des quais de l’Isère et monte à 700 mètres jusqu’à la Bastille. De là, on peut rejoindre à pied le couvent de la Grande-Chartreuse et celui, moins connu, de Chalais, où vivent des moniales dominicaines. Pierre Péju y est allé souvent pour écrire – il y a d’ailleurs situé l’une de ses nouvelles, Le Diable en Chartreuse. “Je ne crois pas en Dieu, mais les religieuses ne me posent pas de questions. La chartreuse est un lieu propice à la méditation.”
Péju m’a donné rendez-vous dans sa cantine, Le Tonneau de Diogène, logée au rez-de-chaussée de la petite librairie philosophique qu’animent Bernard et Geneviève Journaux. On y tient régulièrement des débats. “Je me suis tout de suite senti chez moi à Grenoble. C’est une ville qui peut aider un écrivain qui débute. Grenoble n’est pas une ville qui colle. C’est une ville légère, d’où l’on peut facilement s’évader.”
une cité de gauche recyclée dans la technologie
Pour son roman La Petite Chartreuse [éd. Gallimard, 2002], récemment mis en images par Jean-Pierre Denis, Pierre Péju cherchait justement “un lieu entre la montagne et la ville”. A force d’accueillir des étudiants, des chercheurs et des ingénieurs, dit Péju, les Grenoblois ont acquis un petit air de passants. “Tout le monde, ici, a l’air d’être de passage.”
Comme dans les villes américaines, le centre de Grenoble n’est pas facile à trouver. S’il fallait en désigner un, ce serait certainement la maison de la culture, rebaptisée MC2 et qui vient de rouvrir après six ans de travaux. Son directeur, Michel Orier, est justement l’un de ces “passants”. Venu d’Amiens, il a fait escale à Paris au cabinet de l’ancienne ministre de la Culture Catherine Tasca, avant d’aboutir dans ce lieu mythique autrefois baptisé le Cargo.
Le changement de nom symbolise un changement d’époque. Lieu de toutes les batailles culturelles depuis vingt-cinq ans, le vieux paquebot rouillé dessiné par André Wogenscky a fait place à une maison impeccable rénovée par Antoine Stinco et dont le nouveau nom évoque la vocation scientifique de la ville. Seconde maison de la culture créée par André Malraux, en 1968, le Cargo fut de toutes les utopies et de tous les combats. Il a été dirigé tour à tour par le metteur en scène Georges Lavaudant et par le chorégraphe Jean-Claude Gallotta.
Cité de gauche recyclée dans les nouvelles technologies, Grenoble s’enorgueillit d’avoir été aux premiers rangs de la Révolution. Elle fut aussi l’une des premières à entrer en résistance, en 1940, dans les maquis du Vercors. Depuis, la résistance est devenue culturelle. “Toute l’idée de la démocratie participative est née ici, dans les années 1960, dit Michel Orier. Comme toutes les utopies, elle a connu ses défaites. Mais elle vit encore à Grenoble. Nous faisons tout pour qu’elle ne devienne pas un rite.” Depuis sa réouverture, en septembre dernier, MC2 a accueilli 90 000 spectateurs, dont le quart a moins de 26 ans. La scène techno est particulièrement active. Plusieurs groupes grenoblois, comme Sinsemilia, Gnawa Diffusion, Mig et Miss Kittin, font carrière à l’étranger. On dit même qu’il y a un son grenoblois.
Les brûleurs de loups, l’autre touche américaine
Stendhal ne reconnaîtrait pas sa ville. Grenoble est devenue cosmopolite. “Ici, l’habitat n’a aucune importance, dit Michel Orier. Les gens n’y sont pas attachés. Il n’y a pas de beaux immeubles. La nature est tellement luxuriante. On se fout un peu d’où on habite. Dès qu’il neige, on va dans la nature.”
Je ne pouvais pas quitter Grenoble sans rencontrer l’ailier québécois de l’équipe de hockey sur glace locale, les Brûleurs de loups. Car le hockey est une autre de ces technologies de pointe que les Grenoblois ont importées d’Amérique. Venu de Shawinnigan, Dominique Forget fait partie de ces “passants” qui traversent la ville. La veille, l’équipe venait de perdre en demi-finale de la Ligue Magnus. A 24 ans, il aimerait pourtant revenir à Grenoble l’an prochain pour une saison entière. Forget a été surpris par la qualité du jeu de l’équipe grenobloise. Surpris aussi par la ville, “une ville jeune, où les gens sont accueillants et ne vous posent pas de questions”.
Dominique me racontait les matchs qu’il avait remportés en Louisiane, au Texas et à Shawinnigan. En sirotant une bière dans le hall kitsch de l’hôtel Ugerel, coincé entre l’aréna [patinoire] et le centre commercial de la Grand-Place, on se serait presque cru chez nous… quelque part en Amérique.
inscrit le 5/12/03
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