
Stérilisation forcée des indiens du Pérou
par Françoise Barthélémy
Quelques mois plus tard, vivement pressée par l'infirmière du village et sans avoir reçu d'informations détaillées, Hilaria se soumet à une opération du ventre dont elle a du mal à se remettre: "ils t'insultent en te disant: Tu veux mettre bas des petits comme des cochons? Ton mari va se fâcher si tu ne fait rien!"Aprés ils t'assurent que tu gueriras tout de suite. C'est faux. La cicatrice guérit rapidement au dehors, mais dedans non, parce que nous faisons un travail trés dur." Elle n'est pas la seule à souffrir de sequelles. Une amie, une mère de famille vivant à Mollepata, lui avoue être "trés affaiblie". Elle aussi a subie une ligature des trompes.
C'est le temps où, de plusieurs communautés-Mollepata, Limatambo, Ancahuasi-, proviennent des nouvelles inquiétantes. Des séñoras venues au dispensaire pour faire contrôler la santé de leurs enfants se voient enfermer, parfois à dix ou vingt. Sous prétexte de les vacciner, on les met en salle d'opération. On les anesthésie. Elles ressortent, une par une, sonnées. Plus tard elles comprennent-choc terrible-qu'elles ont été stérilisées, qu'elles n'auront plus jamais d'enfants.
[...]En juillet 2002, les enquêteurs nommés par le ministère de la santé (Minsa) rendent public un "rapport final" gros de 137 pages d'où il ressort que, entre 1995 et 2000, 331 600 femmes ont été stérilisées, tandis que 25 590 hommes subissaient une vasectomie. "Ces personnes ont été captées, souligne le rapport, soit à force de pressions, de chantages et de menaces, soit en se voyant offrir des aliments, sans qu'elles aient été dûment informées, ce qui les a empêchées de prendre leur décision en réelle conaissance de cause.
Le tout a été réalisé au nom d'un "plan de santé publique", dont l'objectif véritable était de diminuer le nombre des naissances dans les secteurs les plus pauvres au Pérou. Autrement dit, pour l'essentiel, les populations indigènes des zones déshéritées: la sierra (montagne) andine, la selva (forêt) amazonienne, les bidonvilles entourant Lima.
Bien que beaucoup de documents officiels eussent été détruits, cinquante-six demeuraient qui établissaient les faits et désignaient les responsables. Au premier rang, l'ancien président de la république, M. Alberto Fujimori, tenu informé, moi par mois, du nombre d'interventions réalisées, notamment par les services des ex-ministres de la santé [...]
[...] Le 9 septembre 1995, M.Fujimori présente aux législateurs un projet de loi madifiant la "loi générale de la population", afin de permettre le recours à la stérilisation. Ce même mois le congrés approuve un texte qui rend légitime l'emploi de cette méthode, au même titre que d'autres moyens contraceptifs: Injonctions, pillules, diaphragmes, préservatifs, etc. Point important: la stérilisation sera gratuite. Un zèle frénétique se déploie, incluant la participation de tous les ministères-en tête ceux de la promotion de la femme et du développement humain-[...], des forces armées et de la police.
[...]-Pour les médecins engagés dans des périodes n'allant pas au-delà de 3 mois, renouvelables, le choix de l'objection de conscience n'est plus autorisé. Des "festivals de ligature des trompes" (sic) sont organisés, dans les campagnes et les pueblos jòvenes (bidonvilles). Une journée de jeux, danses, concerts, théâtre, marionettes, feux d'artifices, sport, repas copieux, passage gratuit chez le dentiste et le coiffeur. Affiches illustrées, représentant les familles "modernes" (avec peu d'enfants) et les "arriérées" (dans leurs pattes, une marmaille grouillante). Pancartes où s'étales des annonces en espagnol: "Gratis: ligature des trompes et vasectomie". De fait, à la fin de la journée, les médecins venus des villes avaient accomplis de la besogne. Mais, aux informations qu'ils donnaient et aux "lettres d'accord" qu'ils faisaient signer, qu'avaient pu comprendre des paysans parlant le quechua et des femmes pour la plupart analphabètes?
[...] Un crime qui aura fait finalement bien peu de bruit..."
Source: "Le Monde Diplomatique, Mai 2004"
par Françoise Barthélémy
Quelques mois plus tard, vivement pressée par l'infirmière du village et sans avoir reçu d'informations détaillées, Hilaria se soumet à une opération du ventre dont elle a du mal à se remettre: "ils t'insultent en te disant: Tu veux mettre bas des petits comme des cochons? Ton mari va se fâcher si tu ne fait rien!"Aprés ils t'assurent que tu gueriras tout de suite. C'est faux. La cicatrice guérit rapidement au dehors, mais dedans non, parce que nous faisons un travail trés dur." Elle n'est pas la seule à souffrir de sequelles. Une amie, une mère de famille vivant à Mollepata, lui avoue être "trés affaiblie". Elle aussi a subie une ligature des trompes.
C'est le temps où, de plusieurs communautés-Mollepata, Limatambo, Ancahuasi-, proviennent des nouvelles inquiétantes. Des séñoras venues au dispensaire pour faire contrôler la santé de leurs enfants se voient enfermer, parfois à dix ou vingt. Sous prétexte de les vacciner, on les met en salle d'opération. On les anesthésie. Elles ressortent, une par une, sonnées. Plus tard elles comprennent-choc terrible-qu'elles ont été stérilisées, qu'elles n'auront plus jamais d'enfants.
[...]En juillet 2002, les enquêteurs nommés par le ministère de la santé (Minsa) rendent public un "rapport final" gros de 137 pages d'où il ressort que, entre 1995 et 2000, 331 600 femmes ont été stérilisées, tandis que 25 590 hommes subissaient une vasectomie. "Ces personnes ont été captées, souligne le rapport, soit à force de pressions, de chantages et de menaces, soit en se voyant offrir des aliments, sans qu'elles aient été dûment informées, ce qui les a empêchées de prendre leur décision en réelle conaissance de cause.
Le tout a été réalisé au nom d'un "plan de santé publique", dont l'objectif véritable était de diminuer le nombre des naissances dans les secteurs les plus pauvres au Pérou. Autrement dit, pour l'essentiel, les populations indigènes des zones déshéritées: la sierra (montagne) andine, la selva (forêt) amazonienne, les bidonvilles entourant Lima.
Bien que beaucoup de documents officiels eussent été détruits, cinquante-six demeuraient qui établissaient les faits et désignaient les responsables. Au premier rang, l'ancien président de la république, M. Alberto Fujimori, tenu informé, moi par mois, du nombre d'interventions réalisées, notamment par les services des ex-ministres de la santé [...]
[...] Le 9 septembre 1995, M.Fujimori présente aux législateurs un projet de loi madifiant la "loi générale de la population", afin de permettre le recours à la stérilisation. Ce même mois le congrés approuve un texte qui rend légitime l'emploi de cette méthode, au même titre que d'autres moyens contraceptifs: Injonctions, pillules, diaphragmes, préservatifs, etc. Point important: la stérilisation sera gratuite. Un zèle frénétique se déploie, incluant la participation de tous les ministères-en tête ceux de la promotion de la femme et du développement humain-[...], des forces armées et de la police.
[...]-Pour les médecins engagés dans des périodes n'allant pas au-delà de 3 mois, renouvelables, le choix de l'objection de conscience n'est plus autorisé. Des "festivals de ligature des trompes" (sic) sont organisés, dans les campagnes et les pueblos jòvenes (bidonvilles). Une journée de jeux, danses, concerts, théâtre, marionettes, feux d'artifices, sport, repas copieux, passage gratuit chez le dentiste et le coiffeur. Affiches illustrées, représentant les familles "modernes" (avec peu d'enfants) et les "arriérées" (dans leurs pattes, une marmaille grouillante). Pancartes où s'étales des annonces en espagnol: "Gratis: ligature des trompes et vasectomie". De fait, à la fin de la journée, les médecins venus des villes avaient accomplis de la besogne. Mais, aux informations qu'ils donnaient et aux "lettres d'accord" qu'ils faisaient signer, qu'avaient pu comprendre des paysans parlant le quechua et des femmes pour la plupart analphabètes?
[...] Un crime qui aura fait finalement bien peu de bruit..."
Source: "Le Monde Diplomatique, Mai 2004"
inscrit le 13/2/05
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