Retour en arrière de quelques mois: nous sommes en avril 2004. La saison de ski touche à sa fin (même si mes lattes taterons encore un peu la neige jusqu'à la mi-mai), mais dans le massif des Calanques, avril est à l?escalade ce que janvier est au ski dans nos chères montagnes. Nous en parlions depuis un moment, nous en rêvions, nous nous régalions des récits de Rébuffat ou de Livanos, l?aventure était là, toute proche de nous. Finallement, nous nous décidons pour fin avril: notre première voie d?artif!

Nous regardons la météo, il va faire beau, pas un souffle de vent, c?est parfait. Nous nous décidons pour le 25. La voie sera « Balade pour Pierro », à la Cathédrale (90 m, ED, A2, A2, A2+, 4b). La veille au soir nous préparons nos sacs. Dans le salon nous mettons à plat tout le matos à emporter à la fois pour mieux se le répartir et pour être sur de ne rien oublier. C?est impressionant. Nous pesons nos sacs: 20 kg chacun ! Vas-t-on être à la hauteur? Beaucoup d?interogation nous assaillent? Une chose est certaine, la marche d?approche va être rude.

Nous nous couchons tôt, et malgré tout, la nuit nous paraitra courte. Après un solide déjeuner nous partons vite direction Luminy, où nous laissons notre voiture sur le campus de la fac. La montée est dure, mais moins que je ne le croyais. Finallement nous arrivons rapidement au pied de la voie. Elle se situe dans la grande trace noire en forme d?ogive de ce promontoire que les anciens avaient justement bien nommé « La Cathédrale ». Nous sommes à l?ombre, et il ne fait pas chaud. Le paysage est à pleurer de beauté. Au loin le Cap Morgiou sort des brumes, et nous devinons à peine la célèbre Anse de la Triperie. Le cap se prolonge doucement sur le Cancéou brutalement masqué par la magnifique Aiguille de Sugiton en avant plan. Ce sommet majeur et bien isolé est en fait une gigantesque lame orienté nord-sud, et seuls les navires ne peuvent le voir de profil et ainsi comprendre pourquoi on l?a nommé « aiguille ». Devant nous surgit le Torpilleur, petit ilôt sorti des eaux translucides de la Méditerranée aux reflets bleutés, émeraude et turquoise. Vers la gauche, nous voyons le Socle de la Candelle, haut lieu de l?escalade marseillaise, la Concave, paradis du devers qui inspira Georges Livanos (Le Grec pour les intimes) pour le titre de son magnifique ouvrage « Au delà de la Verticale ». Plus loin nous devinons la falaise de Castelveil et entre ciel et mer, le Cap Canaille.

Nous mangeons une barre de céréales avant de nous équiper. Mon compagnon partira en premier. Mais nous sommes perplexes. Nous ne trouvons pas le départ de la voie. La suite nous paraît plus évidente bien que nous ne trouvons aucun pitons. Sommes-nous au bon endroit? Il semble que oui. Mais comment faire pour commencer? Le rocher est pourri et c?est tout en devers, sans aucune fissure. Mon camarade commence, les prises lachent dans ces mains : « Je suis pas bien là !!!! Oulala !!! Vite !!! Ca va pas !!! ». Bon, ça commence bien? Le pied ripe une fois, il se ratrappe. Il est à 5 m du sol, et il n?a pas encore posé de point. Quand enfin, il en pose un, celui-ci tombe tout seul par le simple frottement de la corde. Les cailloux pleuvent et je m?en prend plein la tronche. Bing ! Encore un autre qui claque comme un coup de fusil sur le casque. Nous ne sommes pas rassurés? Soudain il me crit qu?il va tomber. Rien ne va plus, je lache la corde qui ne sert à rien et je monte de 30 cm à mon tour pour lui soutenir un pied. Ca va mieux, il faut redescendre. Mais tout d?un coup, la prise qu?il tenait lache et c?est la chute. Il me tombe dessus, et nous basculons tout les deux en arrière. Fort heureusement, nous atterissons dans un buisson ! « Ca va ??? » « Bin ouais, et toi ? » Nous nous démelons les pinceaux. Mon camarade n?a rien, et moi j?en suis quitte pour un doigt écrasé et quelques coupures. Le temps que je me soigne, nous cherchons à repartir. Cette fois nous trouvons enfin le départ. Et biensur, nous nous demandons comment nous avons fait pour partir à coté tellement c?était évident?
Bref, après un passage de IV, nous arrivons au toit. Mon camarade le passe sans trop de difficulté. Mais nous sommes terriblement long ! Nous n?avons pas fini la première longueur qu?il est déjà midi. Je pars alors à mon tour pour continuer. Le soleil a tourné et nous crevons maintenant de chaleur. Au bout du compte, c?est plus simple que ce que je m?imaginais. Il suffit d?être très organisé et de ménager ses forces. Enfin, j?arrive à une complication. Je suis face à un devers balayé par une jolie fissure. Incroyable, rien ne tient dedant. Elle est trop large et je manque d?expérience. Je place un friend qui semble tenir tant bien que mal, si je ne gigote pas trop. Je me vache dessus, tout va bien. Je suis suspendu dans le vide. C?est le bonheur. Au dessus je couple trois pitons solides que je réunis par un bout de corde. Je tire un coup sur le friend, confiant, pour me hisser encore un peu. Et paf ! Au moment ou je m?y attendais le moins, je vole ! J?entend juste le friend sauter, un bruit de ferraille, et je suis 10 m plus bas. J?ai même pas eu le temps de comprendre, ni d?avoir peur. Mon camarade, aussi surpris que moi est projeté contre la paroi alors qu?il me prennait en photo ! Par l?inertie, il se balance lui aussi un moment au dessus du sol: « Ca va ??? » « Bin ouais, et toi ? » Bon, je redescend.

Mon compagnons repart. Il est 16h et nous n?avons pas fini la première longueur. Il n?arrive guère à monter plus haut que moi, et après quelques heures de bataille, nous renonçons sans regrets. Nous sommes face à une grosse difficulté. Nous reviendrons avec des coins de bois et là ça ira mieux. Nous sommes heureux car nous avons enfin réussi à faire de l?artif. Pour nous, c?est une grande victoire, car malgré nos petits déboires, nous avons presque fini une longueur de A2. C?est déjà beau car ce jour là, nous avons vraiment senti venir nos limites. Sur le chemin du retour nous parlons peu. Comme toujours après une aventure dans les Calanques, nous nous repassons les souvenirs de notre journnée. Nous recomencerons, c?est sûr !


Pour en savoir plus sur l'artif:

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