Nous poursuivons notre examen minutieux du matériel du skieur, en remontant de bas en haut : après les skis (forme et structure), penchons-nous aujourd'hui sur les fixations.

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Historique
Le ski 1 et 2

Comment attacher les skis aux pieds du skieur ? La question ne date pas d’hier. Aux débuts du ski, une courroie de cuir traversant l’épaisseur du ski ou clouée sur les chants retient l’avant du pied. Quoique rudimentaire, ce système était adapté à une pratique en terrain plat. Plus tard, une bride passe derrière le talon pour le maintenir dans l’axe du ski sans l’empêcher de se soulever, ce qui est nécessaire en montée ou pour effectuer un virage « télémark ». Pendant la première moitié du XXe siècle, divers systèmes de fixations métalliques font leur apparition. L’avant de la chaussure est maintenu dans une mâchoire réglable en largeur. Un câble, également ajustable, tient le talon de la chaussure. Le problème majeur tient au fait que la chaussure et la jambe du skieur sont solidaires, ce qui provoque entorses et fractures quand l’effort de torsion dépasse la résistance de l’organisme. Dans les années 1950, naissent le souci de la sécurité et, avec lui, les fixations à butée et talonnière, bloquant la chaussure et la libérant en cas de chute.

1. La butée


La pointe antérieure de la chaussure de ski s’emboîte dans la butée, qui peut s’ouvrir latéralement. Certaines butées, dites pivotantes, lâchent la chaussure en cas de contrainte vers le haut ou vers les côtés : elles sont triaxiales. Le corps principal est vissé sur le patin du ski. Sa forme triangulaire, pointe orientée vers l’avant, lui évite d’accrocher les obstacles. Il est traversé, dans sa longueur, par un ressort qui régule l’ouverture ou le pivotement de la butée. Sa dureté s’ajuste par le biais d’une vis dont la tête se trouve à l’avant de la butée. Sur le dessus de celle-ci, un témoin directement relié à la vis indique le niveau de dureté du ressort. La pointe de la chaussure est retenue latéralement par deux ailettes qui peuvent s’ajuster, selon les modèles, en hauteur ou en largeur. Leur rôle est double : elles doivent aussi s’écarter pour relâcher la chaussure en cas de chute violente. Quand la situation se présente, la chaussure doit pouvoir glisser facilement hors de la butée ; dans ce but, deux dispositifs existent. Le premier est un galet, semblable à une roulette, situé sur le corps principal de la butée ou sur chacune des ailettes s’il y en a deux. En cas de choc, la chaussure, appuyée sur le galet, roule aisément hors de la butée. Le glissement de la chaussure est également facilité par la présence d’une plaque en matière anti-adhésive. Le matériau le plus indiqué pour cet usage est le polytétrafluoroéthylène[1], malgré son application industrielle parfois malaisée. En effet, à cause de son faible coefficient de friction, le PTFE se colle difficilement aux supports auxquels il doit être fixé. Cette plaque de glissement est montée sur le patin, juste derrière la butée, au niveau de la pointe de la chaussure ; celle-ci repose donc directement sur la plaque, qui favorise son glissement hors de la butée.

2. La talonnière

Le talon de la chaussure est fixé au ski par la talonnière, pendant arrière de la butée. Sur le patin est vissée une plaque, qui constitue la base de la talonnière. Elle est équipée d’un rail cranté, sur lequel coulisse le chariot. Ce système permet, à l’aide d’un tournevis, d’ajuster l’espacement entre les deux pièces de la fixation à la taille de la chaussure. Déplacer l’ensemble de la talonnière conduirait à percer de nouveaux trous à travers le ski, ce qui le fragilise. Sur le chariot se trouve un levier qui s’abaisse vers l’avant pour bloquer le pied ou vers l’arrière pour le libérer. Quand le skieur chausse ses skis, il enclenche la talonnière en appuyant du talon sur une languette située dans la continuité du levier, après avoir placé la pointe du pied dans la butée. Le déchaussage se fait, à l’inverse, en appuyant sur la partie arrière de ce levier, dans laquelle une encoche est réalisée pour caler la pointe du bâton. Comme pour la butée, le levier se déclenche plus ou moins facilement en fonction de la dureté d’un ressort interne. Une vis d’ajustement de la dureté se trouve à l’arrière de la talonnière ; elle est reliée à un indicateur gradué. La partie arrière fonctionne essentiellement selon un axe vertical, mais il existe également des « talonnières-pivots », capables de pivoter sur un axe pour libérer le talon lors de chutes en torsion.

3. La sécurité

Il apparaît donc que les deux parties de la fixation ont pour fonction non seulement de maintenir le pied sur le ski, mais aussi de le relâcher au moment opportun. Le déclenchement s’effectue à partir d’une certaine force d’arrachement vers le haut ou, pour la butée, à partir d’une pression latérale d’un niveau déterminé. Ces valeurs sont définies par le réglage de la dureté des ressorts, dont l’exactitude est une garantie de sécurité. En effet, les fixations constituent l’interface entre la chaussure et le ski, elles subissent de fortes contraintes puisqu’elles transmettent les efforts du skieur vers le ski. Si elles ne sont pas assez serrées, elles risquent de se déclencher de façon intempestive, ce qui peut provoquer une chute inattendue et donc s’avérer dangereux. Au contraire, une fixation trop serrée retiendra le pied quand elle devrait le lâcher pour limiter les contraintes sur les articulations ou les os des membres inférieurs. Ainsi, lors d’une chute en torsion, l’effort est supporté par les ligaments du genou tant que la butée ne se déclenche pas. À ce sujet, les données épidémiologiques sont significatives : environ 30 % des blessures survenant lors de la pratique du ski alpin sont des entorses du genou, dues le plus souvent à un défaut de déclenchement des fixations . L’ajustement de la force de déclenchement des fixations est prévu par des vis, situées à l’avant de la butée et à l’arrière de la talonnière. Elles agissent non seulement sur le ressort, en le comprimant ou au contraire en le relâchant, mais aussi sur un indicateur, comme celui visible sur la photo de la butée Rossignol FD 60, gradué de 2,5 à 9. Les repères correspondent à la norme DIN (Deutsches Institut für Normung, institut allemand de normalisation), ils indiquent la force nécessaire au déclenchement : une valeur de 6 indique que la fixation libèrera le pied pour une pression équivalente à 60 kilos. Cette mesure est rendue plus précise par la norme ISO 11088, qui tient compte de paramètres d’ajustement autres que le poids : l’âge du skieur, sa pointure, son sexe, son niveau et son style de pratique. Le réglage de la dureté de la butée et de la talonnière est donc un aspect crucial de la sécurité du skieur.

4. Le frein

Quand les fixations fonctionnent bien, elles laissent le ski se séparer de la chaussure en cas de choc violent, donnant naissance à un autre danger. Dans la plupart des cas, l’incident se produit sur une piste damée. Une fois désolidarisé du pied, le ski tend à suivre la pente à grande vitesse et selon une trajectoire incontrôlable. Le risque majeur est qu’il percute un skieur et le blesse ; il risque également d’être définitivement perdu. Pour remédier à ces désagréments, on a d’abord tenté de le retenir en le reliant à la chaussure par des lanières. Cependant, ce système présentait l’inconvénient de faire tournoyer dangereusement le ski autour du skieur. À présent, des freins sont fixés à l’avant de la talonnière. Il s’agit d’un levier relié à une languette et à deux tiges métalliques disposées de chaque côté du ski. Il est également équipé d’un ressort. Quand le skieur enclenche la fixation, son talon abaisse la languette, ce qui a pour conséquence de relever les tiges latérales parallèlement au ski. Au contraire, en cas de déchaussage, la languette se relève sous l’effet du ressort et les pointes s’abaissent, ce qui leur fait dépasser la semelle du ski. Elles provoquent alors un freinage qui empêche le ski de dévaler dangereusement la pente. La photo de la talonnière Rossignol FD 60 montre un frein ouvert.

[1] Le polytétrafluoroéthylène, ou PTFE, est plus connu sous son nom commercial : le Téflon.