... ou comment une belle journée a faillit très mal se terminer. Un témoignage qui, je pense, peut être utile à beaucoup de rideurs.

C'est un miraculé qui écrit cet article...



Lundi et Mardi, les conditions de ski sont apparemment fantastiques à Isola! Mais pendant que des potes en profitent, je suis "coincé" au bureau : pas possible de poser un RTT, dommage... Mercredi, personne ne monte, Jeudi ils y retournent et cette fois je suis de la partie, bien décidé à me "rattraper"!

Arrivés assez tôt, habillage, forfaits, ... et c'est parti! Suite au début de semaine apparemment ENORME, je suis assez taquet pour en profiter un max et chasser ma frustration. Smoke qui n'a rien raté est encore à fond et dans l'euphorie des jours précédents. En bref, tout le monde est bien chaud.

On attaque direct les skis sur le dos pour aller chercher le grand couloir au dessus de P1. On est pas déçu! Neige encore bien froide, de la place pour faire sa trace, ... "un par un" quand même, tout se passe bien. Ca commence fort et mes inquiétudes sur la qualité de la neige 3 jours après la chute disparaissent très vite.

Ensuite direction Méné, première descente dans les couloirs accessibles sans marcher : ça semble plaqué sur le haut, mais ça passe sans aucune alerte. Du fond du cirque, on jette un oeil avec envie aux grand couloirs : ça semble très bon! Retour sur le domaine en testant la "traversée de Bandiflex", on remonte et on se laisse tenter... Les skis sur le dos, un collègue et moi faisons la trace pour atteindre le haut du premier grand couloir. Longue phase d'observation, de questionnements, ... Smoke ne le sent pas vraiment... Perso, je le sens pas trop mal : ce versant a été "au vent", les plaques sont donc plutôt de l'autre côté, on pense avoir vu où était le risque, ...

Le haut semble bien plaqué, on observe pendant que Smoke va se placer pour attaquer par le haut et ne pas avoir à couper au milieu de ce qui nous semble être une belle plaque :



Il attaque prudemment par le haut. Vraiment tout doucement. Il creuse avec la main pour voir la "qualité"...


Puis il se lance danc un virage rapide, bien appuyer et va vite se mettre à l'abri (en fait vu d'en bas, on verra que c'était pas vraiment un abri...) pour tenter de purger. Rien ne bouge.


Traversée rapide et bien appuyée dans le même but, même résultat.


Il attaque donc sa descente relativement rassuré. Il fait un arrêt "abrité" à mi pente puis enchaine en grandes courbes.



Une fois en sécurité en bas, il me prévient par talkie et j'envois le second qui entre directement par le côté, une traversé un peu appuyé pour une nouvelle tentative de purge et se mettre dans ce qu'on croit être un abri.


Il enchaine ensuite sa descente sans encombre.

Au tour du troisième. Premier problème : un de ses skis botte comme c'est pas permis et il galère grave. Sa descente se transforme en une grande série de traversées qui lacèrent le couloir.



Les deux premiers, déjà en bas, ne le voyant pas venir se rapprochent de la gueule du couloir pour voir ce qu'il fait... Il finit quand même par arriver en bas et Smoke me dit au Talkie d'y aller. Ils ne sont pourtant plus complètement à l'abri. J'y vais en surveillant mes arrières mais assez confiant : après 3 passages et plusieurs tentatives de purges, ça semble tenir! Je passe la partie qui nous faisait douter et continue un peu plus loin que les autres sur la contre pente avant l'étroiture et là, en fin de virage (donc un peu en travers de la pente)... ça se plisse sous moi, je commence à glisser et à me faire embarquer. Je gueule : "AVALANCHE!!!". Voilà ou ça a cassé (La photo est prise après le passage de Smoke. Les 2 suivants ont chacun continués un peu plus loin sur la contre pente. Et moi encore un peu plus loin...):



Ca commence doucement, et je me dirige vers des arbres auxquels je pense pouvoir m'aggriper. Mais après ces arbres, la pente calle beaucoup plus sec (presque une petite falaise) et quand j'arrive à leur niveau tout accélère très très vite. Je ne peux plus rien faire et je suis embarqué... Je sens que je traverse une zone tumultueuse (arbres, rochers, ...), puis l'écoulement devient plus "calme" mais pas moins rapide. Je suis dessous, j'essaye de remonter, ... Un peu la sensation d'être pris dans des rouleaux dans l'océan. Ca ralenti un peu et j'ai la tête qui sort quelques secondes! Une grande inspiration et quelques secondes d'espoir : la tête dehors, ça commence à ralentir, ... Mais une deuxième vague me rembarque. Enfin, tout s'arrête, je suis dessous, ... Je m'agite pour tenter de faire bouger la neige, mais j'arrive seulement à la tasser de quelques centimètres. Je suis complètement bloqué, comme coulé dans du béton, ... je ne peux rien faire. J'hurle 2/3 fois. Puis je me force à me calmer pour consommer moins d'oxygène. Je me crois foutu, je me dis que j'espère que c'est pas douloureux, je pense à ma copine et aux 3 qui sont au-dessus... et très rapidement je m'endors, asphixié.

Les 3 autres m'ont entendu crier au départ de l'avalanche et ont vu l'aérosol déferler sur eux. Vu qu'ils n'étaient plus complètement à l'abris, ils ont fuit sur le côté. Malheureusement, celui qui avait un ski "collant" n'a pas pu s'échapper complètement. Il a senti le vent froid, puis l'avalanche le recouvrir.

Quand tout s'arrête, il a juste la bouche qui dépasse, ce qui lui permet de respirer et se faire repérer des 2 autres qui ont pu se mettre à l'abri. Ils le dégagent assez rapidement. Une fois libre, il prend les choses en main : lance le chrono, prévient un ami pisteur au poste de secours de Méné,  et commence à me chercher à l'arva. 7 min plus tard, ils me dégagent la tête : je suis inconscient et déjà un peu bleu (pas d'hypothermie, mais d'asphixie). J'étais sous 50cm à 1m de neige. Les pisteurs arrivent quelques minutes après.

De mon côté j'ai eu l'impression de dormir, je rêvais même! Rien de désagéable! Je me réveil doucement, je sens que y'en a un qui me marche sur les jambes, tous les pisteurs sont déjà là... Je reprend mes esprits, ils finissent de me dégager, je me relève et semble aller bien. Tout le monde est très soulagé, les pisteurs félicitent mes potes d'avoir bien gérer, etc... Je me tape un gros mal de tête et j'ai un peu mal à la cuisse gauche. Tout le monde décompresse, l'hélico qui avait déjà été prévenu par les pisteur est renvoyé à la maison, chacun récupère son matos, le chef pisteur prend nos dépositions, etc... J'en profite pour prendre quelques photos (et me faire chambrer par les pisteurs par la même occasion!) :

Un pisteur dans la coulée, vu de "mon trou"



La cassure

J'ai un ski et un bâton (sans dragonne) qui traine pas très loin, l'autre ski est quelque part dessous et un bout de baton dépasse 10m plus haut. Je rechausse mon ski (rescapé mais complètement défoncé) et les pisteurs nous accompagnent jusqu'à la route où nous attend le comité d'acceuil : PGHM, ambulance, médecin.
On est rammené à la station, je suis examiné par le médecin pendant que les autres sont entendus par les gendarmes. Je m'en sors avec seulement un gros hématome sur la cuisse gauche : vraiment miraculé!

Une petite tentative d'analyse
Pour commencer une carte pour "situer"
- en pointillés rouge, la montée
- en rouge, Smoke (le premier à descendre) pour repérer par rapport aux photos
- les points de vues des photos
- en bleu, ma descente
- en jaune, la cassure et l'avalanche


Ce qui fait entre 150m et 200m de coulée (avec moi dedans...)

L'avalanche n'est pas partie là où on s'y attendait... Un pisteur nous a rapidement expliqué que c'était une plaque "au vent" et pas "à vent" plus habituelle.

En fait le vent a souflé de Nord-Ouest (en gros), les plaques "à vent" étaient donc principalement dans les versants sud (c'est à dire de l'autre côté que là où on était), sous la crête. Mais en regardant la carte, on voit que la contre-pente qu'on a skié chacun un peu plus bas, est orientée Nord Est. Donc le vent qui remontait la pente, a déposé de la neige dans cette contre pente et formé une belle plaque à cet endroit.
Cette plaque est quand même bien large (comme a pu le voir d'en bas, et au contraire de ce qu'on voyait d'en haut) et n'a aucun soutient (la pente devient bien plus raide en-dessous)...

Je n'ai entendu aucun "woof", car à mon avis il n'y avait quasiment pas de couche fragile mais juste une belle surface de glissement (neige bien gelée). Je pense que la plaque à vraiment cédé par surcharge (moi) et manque de soutien après avoir été fragilisé et "découpée" par les précédents passages et non par affaissement d'une couche fragile.

Toute analyse plus poussée est la bienvenue!

Conclusions rapides (ou plutôt des évidences à ne pas oublier)
- ne pas y aller quand on le sent pas et "savoir renoncer"
- ne pas se laisser aller par l'euphorie
- ne pas trop se fier aux conditions des jours précédents. Ca peut très vite changer!
- un par un "pour de vrai" : s'arrêter vraiment à l'abris.
- tout le monde a la trilogie APS et sait s'en servir : je suis une preuve vivante de l'utilité de cet équipement.

Encore un grand merci à mes potes qui m'ont sorti à temps ainsi qu'aux pisteurs et au PGHM qui nous ont bien soutenus.

J'espère que ce témoignage pourra éviter d'autres accidents...