(paru en anglais dans l'édition de septembre d'aspectjournal)


Il est assis au milieu de la cabine, coincé entre les sacs, casques, bâtons, et nos pieds. Il fait beau, le soleil nous inonde et forme des plages blanches sur le pelage noir du chien.

On vient à peine de quitter P2, direction les Ruillans, dans une cabine orange. Il y a Le Dude, Colin, Steph et moi. Colin sort son Thermos de thé, fait tourner un gobelet fumant. Quelquefois on ne s'en doute pas, on oublie que l'on vit ce que l'on appelle platement 'un moment de bonheur'. Là, le fait de le savoir m'empêche presque de le savourer. Colin parle de photos, de son Swell, qui tangue de l'autre coté du Plexiglas, du fromage norvégien, qui cuit pendant plusieurs jours dans une casserole de cuivre.

On jette tous de fréquents coups d'oeil sur le vide en dessous, sur le glacier majestueux, tout bleuté, sur les murs des Vallons, dans lesquels le vent de la nuit à soufflé une neige légère, très douce, effaçant les traces de la veille. C'est notre deuxième montée.

Colin interrompt le silence pour gronder Sam. Sam a pété. Ce chien ne sait pas se tenir. L'espace confiné sent un instant plus fort que le fromage norvégien de Colin, puis les fenêtres ouvertes rétablissent une atmosphère supportable. Le chien n'a pas bougé. Depuis qu'on est parti c'est à peine s'il s'est retourné une fois pour se caler un peu plus confortablement, et une autre pour happer une croûte de fromage (norvégien) tendue par Colin. Je soupçonne d'ailleurs ce dernier mouvement de ne pas être totalement sans rapport avec l'odeur du pet.

J'avais vu le chien plus tôt, ce matin là, devant la cabine des opérateurs à P2, attendant près du swallow posé contre le mur. Il était immobile, alors, aussi immobile que maintenant, à quelques mètres de la gare d'arrivée. Colin nous vante sa vitesse sur la neige, et raconte la fois où il a descendu le Pan de Rideau.

C'est un fou de neige stoique, zen, sans sac à dos, sans ARVA, sans même une paire de skis.

Il sort en dernier de la cabine, comme pour s'assurer que ses moutons sont saufs et bien regroupés. Je le regarde partir derrière Colin dans Chancel, alors qu'on se dirige vers un café bien mérité. Je les regarde disparaître derrière la crète ventée. Normalement, les chiens, j'aime pas trop. Mais là, le Pan de Rideau, quand même.

Il tue ce chien.