Trip freeride au Japon

La plupart des skieurs viennent à Tanigawa-dake Ropeway pour la poudreuse profonde et le terrain doux, délicatement piqueté d'arbres sans feuilles, ainsi que pour la tranquilité. Très peu viennent pour skier, comme nous, la montagne tueuse, le mont Tanigawa, 1977 m. Cette montagne a tué 781 personnes depuis les années 30 (contre 200 sur l'Everest) et c'est pourtant elle que nous convoitons.

Tanigawa est à 3 heures au nord de Tokyo. Sa physionomie n'est pas vraiment impressionnante, la dangerosité de l'endroit n'est pas la conséquence de l'altitude mais de la volatilité de la météo, coincé au milieu des systèmes d'orages asiatiques et de l'Océan Pacifique qui se percutent au-dessus de Tanigawa dans un ciel imprévisible.

Nous arrivons dans la ville de Minikami plein d'espoirs et d'histoires racontées par les locaux de Mount Baker. Après avoir discuté avec les guides du coin, Kensuke Numano et Eiichi Tatsumi, nous sommes rapidement mis au courant des dangers du lieu. 

Au sommet du tram qui dessert le domaine skiable, avec un ciel clair, tu peux voir le mont Tanigawa, discrètement menaçant. Nous gardons tous le silence en contemplant cette montagne tueuse, la face principale hérissée de spines, de falaises et de zones exposées qui se rassemblent en un entonnoir dans une petite vallée bordée de vieux arbres qui ramène en bas du tram. Ce premier soir, nous n'avons pas parlé d'autre chose que de skier ces pentes, obsédés par la montagne tueuse.

Trois jours, pendant lesquels nous avons skié alentours et ausculté le manteau neigeux. Le rayon de soleil aperçu le jour de notre arrivée n'était qu'un lointain souvenir. Cependant la neige était vraiment solide et il n'y avait aucun doute que nous pourrions skier la montagne.

Et puis un jour le vent s'est levé et a nettoyé les nuages. Nous voilà prêts, pleins d'espoir, sur l'arête qui mène au Tanigawa, son sommet encore enveloppé de nuages et de brouillard. Ce n'était pas aujourd'hui que allions l'avoir ! Nous décidons alors de skier sur le secteur sud et alors que je m'éloigne du groupe, je me fais emporter par l'effondrement d'une corniche de la taille de deux bus. Un rappel de la puissance de la montagne ! Nous ne devions pas oublier que si le mauvais temps débarquait sans prévenir alors que nous étions sur les flancs de Tanigawa, la situation pourrait vite devenir critique. 

Au matin du dernier jour, nous nous réveillons avec le ciel bleu et nous nous préparons rapidement. Johnny et moi prenons la décision de tenter le sommet, pendant que Grant et le reste de l'équipe travaillent sur la crête. Alors que nous montons avec Johnny, nous discutons de nos lignes... sans que je n'arrive à effacer de ma mémoire cette immense corniche effondrée qui m'avait emporté... Nerveux et excités en même temps, nous atteignons la fin de l'arête et commençons notre ascension. A ce moment-là, Adam U nous appelle à la radio : "les gars quand vous serez hors de portée des radios, vous serez seuls là-haut...". 

Nous touchons le sommet en une bonne heure de marche. Nous descendons sur l'arête Est et parvenons à la spine repérée depuis le tram. Nous stoppons. Nous voilà au coeur de la montagne, le ventre retourné, stressés, inquiets. Nos spatules dépassent dans le vide. Si la face craque, nous sommes foutus. C'est le moment de faire confiance à son instinct et à notre certitude que le manteau neigeux est solide.

Après un premier virage tendu, une petite bulle de soulagement éclate dans ma tête et je peux enfin me concentrer sur ma ligne. Le reste n'est qu'un nuage de poudreuse volatile, un long soupir de décontraction alors que nous terminons le run en hurlant de joie jusqu'au tram. La montagne tueuse nous a laissé passer...