Pour l'édification des jeunes générations, des skieurs expérimentés et des curieux de tout poil, voici la suite du chapitre de mon mémoire consacré au ski sous toutes ses coutures. La première partie était consacrée à la forme du ski, nous disserterons à présent de sa structure.

Déjà parus :
Historique
Le ski 1


2. L’architecture : les matériaux et leur agencement

    2.1 Le noyau

    À côté de la création marginale de skis à noyau creux ou en aluminium, rapidement abandonnée, les deux principales matières entrant dans la fabrication du noyau sont le bois et les composites, présentant chacun différents avantages et inconvénients.

2.1.1 Le noyau en bois
En tout temps et en tout lieu, on trouve le bois à la base de la fabrication des skis. Au départ, les essences locales sont exploitées prioritairement : le bouleau puis le frêne en Scandinavie, le merisier, l’acacia, le peuplier, le tilleul, le chêne, le sycomore, l’épicéa, le sapin, le mélèze, le pin dans les Alpes. Plus tard, les skis étant produits en quantités industrielles, du bois d’hickory, très dur, résistant et souple à la fois, est importé d’Amérique du Nord. Dès la fin du XIXe siècle, une partie de l’industrie du ski est délocalisée en Louisiane, pour profiter de la proximité de ce bois. Aujourd’hui, les noyaux en bois massif rivalisent avec ceux en lamellé-collé : de fines lames de bois sont assemblées et collées sous presse. Cette technique a été rendue possible à partir des années 1930 grâce à l’utilisation d’une colle à la caséine insensible à l’eau. Un noyau peut se composer de plusieurs essences différentes, par exemple un bois dur au patin pour la stabilité et un bois plus souple en spatule et en talon pour garantir la flexibilité. Un inconvénient du bois réside dans sa sensibilité à l’humidité, mais s’il en est bien protégé, il se conserve mieux que les matériaux composites.

2.1.2 Le noyau synthétique
Bien entendu, les noyaux des skis ont bénéficié des innovations technologiques dans le domaine des matériaux synthétiques. De nouvelles matières sont capables de remplacer le bois ou de s’y associer. Le polyuréthanne, économique, génère peu de déchets et apporte souplesse, légèreté et nervosité. Il se présente soit sous la forme d’une poutre usinée pour lui donner la forme voulue, soit sous la forme d’une mousse directement injectée dans la coque. Le nid d’abeille, intéressant pour sa très grande légèreté et sa rigidité, a une âme en aramide ou en aluminium, moins onéreuse mais moins performante. Il est très rarement utilisé. On trouve aussi des noyaux à base de fibre de carbone. De manière générale, un défaut des noyaux synthétiques est leur manque de réactivité par rapport au bois, ressenti comme plus « vivant ».

2.2 La construction

Quelle que soit sa matière, un noyau peut être intégré à la structure d’un ski de différentes façons. Les principales technologies sont le sandwich et la coque, à partir desquels de nombreuses variantes ont été imaginées.

2.2.1 Le sandwich
On peut décrire ce type de construction comme un simple empilage de matériaux au-dessus et en dessous du noyau. Celui-ci s’étendant sur toute la largeur du ski, les chants (parois latérales) sont généralement verticaux. Dans tous les cas, ils sont recouverts d’une matière plastique ou composite protectrice ; leur solidité est primordiale car ils protègent le noyau des agressions extérieures telles que les chocs ou l’humidité. Les couches supérieures et inférieures sont le plus souvent de la fibre de verre et des renforts métalliques en aluminium ou en titane. Les différents éléments sont collés par une résine époxydique, très résistante à l’humidité. Certains skis, dits « en forme », ont une structure en sandwich, avec une particularité : le revêtement supérieur enrobe les chants jusqu’aux carres. De manière générale, la construction en sandwich offre l’avantage de transmettre les appuis du skieur vers les carres de façon directe, ce qui fait un ski très réactif.

2.2.2 La coque
    Le noyau joue ici un rôle moins important. En effet, il est enchâssé dans une coque qui supporte quasiment toutes les contraintes mécaniques. Par conséquent, il fait seulement office de remplissage, ce qui a permis l’apparition éphémère de skis à noyau creux. Les mousses rigides y sont bien adaptées également. La coque est renforcée par différents matériaux métalliques ou composites. Pour améliorer la rigidité en torsion, le noyau peut être moulé dans une boîte de torsion. Il s’agit d’un caisson étanche en fibres de verre imprégnées de résine. L’agencement des fibres a son importance. Si elles sont simplement tissées en X, la rigidité et la répartition des appuis sont moyennes. Elles sont améliorées par l’intégration de fibres dans le sens de la longueur du ski, créant un tressage triaxial. Ce type de tissage de haute qualité est parfois appliqué aux couches supérieures et inférieures des skis en sandwich. La coque peut encore prendre la forme de deux tubes accolés, pour favoriser la tenue en torsion. Les fabricants donnent à la structure en coque différentes appellations : Cap chez Rossignol, Monocoque chez Salomon, Jacket chez Head…

    2.3 Le dessus

    La couche de surface du ski a d’abord un rôle mécanique dans la transmission des appuis vers toute la longueur des carres. De par sa situation sur le dessus du ski, elle doit aussi remplir une fonction protectrice. Enfin, c’est le support de l’image de marque du ski, reflet du caractère que le fabricant a voulu lui donner. Le visuel est intégré par une sérigraphie sublimée ou par l’ajout d’une feuille décorative fonctionnant comme une décalcomanie. Enfin, la protection supérieure est le plus souvent une couche de plastique ABS , mais des innovations se font jour. Il existe par exemple un revêtement alvéolé, semblable à la surface d’une balle de golf, prévu pour réduire les contraintes liées à la pénétration dans l’air ; l’aérodynamisme du ski s’en trouve amélioré.

    2.4 Les carres

    Pour qu’un ski puisse glisser sans déraper de façon incontrôlable, il doit avoir la capacité d’accrocher sur les neiges les plus dures, voire sur la glace, en creusant une sorte de rail qui guide sa trajectoire. Pour cela, l’arête formée par le chant et la semelle est équipée d’une bande métallique de section angulaire : la carre. Inventé par l’Autrichien Rudolph Lettner dans les années 1920, un des premiers modèles de carre était vissé sur la semelle du ski. Ces lames d’acier étaient découpées en plusieurs segments, pour ne pas entraver la flexion du ski, mais elles avaient tendance à se dévisser de façon intempestive, obligeant les skieurs à les réparer sur place avec des moyens de fortune. Aujourd’hui, la carre est intégrée à la structure du ski. Elle se présente sous la forme d’une fine bande d’acier dont l’une des arêtes, affûtée, est laissée apparente pour servir de point d’appui du ski sur la neige, alors que le reste est enchâssé entre le noyau (ou les matériaux qui l’entourent) et la semelle.


 
Semelle équipée de carres avant assemblage final

Cette photo montre un ski en cours de fabrication. Les carres sont disposées sur toute la périphérie de la semelle, sur laquelle sera ajouté le noyau.

    2.5 La semelle

    La semelle est la face inférieure du ski ; elle est en permanence en contact avec la neige. Il est donc indispensable qu’elle glisse bien, ce qui dépend de sa porosité et de sa structure. Le matériau généralement utilisé est le polyéthylène extrudé ou aggloméré. Dans le premier cas, la matière est extrudée en feuilles qui sont ensuite découpées en lamelles puis accolées au ski. Ces semelles sont peu poreuses et manquent de dureté, ce qui les rend moins durables. Le polyéthylène aggloméré est fait à partir de grains compressés en un bloc découpé en feuilles. Ce procédé de fabrication, très répandu, donne une semelle plus poreuse et plus dure qu’une semelle en polyéthylène extrudé. Une semelle poreuse est nécessaire pour absorber le fart[1], qui favorise la glisse grâce à ses propriétés hydrophobes. En effet, il transforme le film d’eau qui se forme sous la semelle en un tapis de micro-gouttelettes sur lequel le ski « roule ». Il faut ensuite structurer la semelle, c’est-à-dire y creuser de fines rainures longitudinales qui favorisent l’écoulement de l’eau, comme sur les pneus d’une voiture.


[1]Le fart est une pâte à base de paraffine ou de fluor dont est enduite la semelle pour améliorer sa glisse. En fonction de l’aspect de la neige et de sa température, différents farts peuvent être appliqués.