Depuis mon plus jeune âge, je voyais sur les cartes routières une montagne au nom pas très flatteur. Que ne pouvais-je imaginer, un tas écroulé de vieux cailoux peut-être, rien de bien majestueux en tout cas. C'était à croire que les gens du coin cherchaient à faire fuir le touriste !

Je ne l'ai découvert ''pour de vrai'' que fort tardivement. C'était à la mi-juillet 2005, en montant l'interminable route en lacets qui part de Séez vers le Petit Saint-Bernard. Il n'est pas apparu subitement, non, il a pris son temps, comme la route elle-même. D'abord, ce sont ses contreforts, puis l'Aiguille Rouge reconnaissable à son pylône de téléphérique. Enfin, il se dévoile, derrière. Sous cet angle, c'est un cône parfait, une pointe idéale, faite de roche très sombre, à peine éclaircie par les maigres glaciers qui en descendent.

Je l'ai longuement contemplé depuis la Rosière, lieu de notre ''camp de base''. Par tous temps, à toute heure, le matin, en journée, le soir, avec le ciel bleu derrière ou à moitié masqué par les nuages, sous le clair de lune, le plus souvent nu mais aussi, une fois, fraîchement plâtré malgré l'été.

On le voit de loin, on le voit de partout. Au nord-est, sur Sainte-Foy, c'est la vision des cartes postales, celles où le bucolique hameau du Monal fait l'avant-plan. Un trapèze perché au dessus des glaciers. Plus au sud, de Tignes, des sommets au dessus de Val d'Isère. Il domine ses satellites, le dôme de la Sache et son glacier suspendu. On le reconnaît toujours à sa forme altière.

Je ne l'ai jamais vraiment approché, je ne l'ai jamais vu par l'ouest, si ce n'est sur les photos prises par d'autres. Je sais qu'il ne perd rien de sa majesté, quel que soit l'angle de vue. Le seul fait qui puisse justifier son appellation si peu engageante pourrait être que, comme tous les grands sommets, il est la première victime des nuages, le premier alentour à pâtir du temps pourri.